« Il faut se préparer à des conflits de grande intensité en Europe »…
Voilà des années que les généraux Lecointre puis Burckardt, successivement chefs d’état-major des armées – l’ancien et le nouveau –, prophétisaient cette chose si improbable qu’on pouvait légitimement les soupçonner d’agiter cet épouvantail à seule fin de gonfler les budgets militaires, ce qu’ils ont parfaitement réussi à faire au long de ce quinquennat macronien. Or voilà que le conflit de grande intensité promis est là, aujourd’hui, en Ukraine.
Guerre moderne ? Le ciblage des populations, cette infamie théorisée dès les années 20, était formulée avec précision par un général italien depuis longtemps oublié, Giulio Douhet. C’était l’idée de la guerre totale, l’aviation permettant d’étendre la guerre à l’ensemble du territoire de l’adversaire, avec pour cibles « les bases, entrepôts et usines », afin de limiter sa capacité militaire, mais aussi les villes afin d’atteindre « le moral de la Nation ennemie ».
Les bases de la guerre moderne étaient ainsi posées, guerre sans merci, guerre cruelle, guerre psychologique.
Contre les horreurs de cette « guerre de l’air » théorisée par le général Douhet, il n’y a qu’une antidote : la zone d’exclusion aérienne, en anglais « no-fly zone », qui suppose le déploiement de moyens techniques, et en particulier des batteries de missiles sol-air, plus efficaces que la traditionnelle DCA, « défense contre avions ».
Se porter au secours de l’Ukraine aujourd’hui ne passe pas par quatre chemins. Certes des brigades internationales peuvent se concevoir, comme pendant la guerre d’Espagne, mais le peuple ukrainien unanimement dressé contre l’envahisseur russe ne manque pas tant de combattants. Envoyer nourriture et médicaments peut servir, bien sûr. Des armes et des munitions, il leur en faut aussi. Mais contre les bombardements aériens, aucune résistance n’est réellement possible à terme.
Les ukrainiens la réclament, cette « no-fly zone ». Poutine montre alors les dents, menaçants de recourir à l’arme atomique contre quiconque lui interdirait d’exterminer librement le peuple ukrainien comme il l’a fait il n’y a pas si longtemps, en Syrie, parvenant à sauver la dictature de Bachar el-Assad au prix de tant de villes rasées.
Certes, j’habite à moins de trente kilomètres d’une centrale nucléaire d’EDF, et je ne suis pas vraiment rassuré de savoir qu’à tout moment un missile russe pourrait rendre inhabitable la région.
Malheureusement, à l’heure où la guerre arrive, ce type de raisonnement n’est plus de mise. Et s’il s’agit de sauver sa peau, c’est collectivement, chacun ayant à surmonter sa peur, qu’il soit en première ligne ou à l’arrière, comme les Anglais l’ont prouvé lors des bombardements de 1940-41, lors du Blitz, ou en 1944, lorsqu’Hitler les arrosait de V1 et de V2, ces « bombes volantes ».
Certes la menace nucléaire est encore plus terrifiante. Et c’est là qu’on comprend l’impératif de désarmement nucléaire total, planétaire, puisque n’importe quel détenteur de cette arme suprême peut à tout moment prendre l’humanité en otage pour imposer ses ambitions, quelles qu’elles soient.
L’impératif démocratique, c’est d’abord de surmonter cette peur, qui a elle seule suffirait à faire cesser tous débats dès lors qu’on la prendrait en compte.
On connaît le précédent de Munich, en 1938, lorsque la peur prit le dessus. Et on sait combien cela a pu coûter cher à l’Europe et au monde entre 1939 et 1945.
Face au défi posé par la Russie, l’Union européenne est la seule réponse.
On a déjà pu voir comment le « parapluie américain » ne fonctionne que s’il le veut bien, et comment Joe Biden semble déjà prêt à abandonner l’Ukraine, se limitant à « sécuriser » autour, les États baltes ou la Roumanie – mais s’il n’est pas prêt à se battre pour l’Ukraine, pourquoi se battrait-il demain pour la Lituanie ?
Manifestement les intérêts propres de l’Europe ne sont pas exactement les mêmes que ceux des États-Unis.
L’Otan, seule organisation militaire existant à l’échelle du continent, associe tout le monde. Et il semble qu’on ne puisse s’en passer à l’instant du conflit, mais les européens doivent en contrôler la force, et pouvoir décider de sa mise en action, avec les importants moyens qu’ils lui prêtent. En un mot, l’Otan doit passer sous contrôle européen.
Simultanément, c’est de l’armée européenne qu’il faut se préoccuper. Si elle n’existait presque pas hier, il faut qu’elle connaisse un début de réalité aujourd’hui, pour sauver l’Ukraine.
Et le premier objectif d’une telle armée européenne doit être la no-fly zone que réclament aujourd’hui les ukrainiens et dont la Russie ne veut pas entendre parler, bien sûr.
L’intégration de l’Ukraine en Europe serait l’autre mesure, d’ordre politique, qui permettrait aux forces européennes d’intervenir y compris au sol, en défense du peuple ukrainien.
Mais sans attendre, l’Europe doit prendre la décision de mutualiser autant de batteries sol-air que possible afin de les disposer aux frontières de l’Ukraine pour interdire l’espace aérien aux bombardiers russes.
C’est à Emmanuel Macron d’en prendre l’initiative.
La zone d’exclusion aérienne n’est pas tant un acte de guerre qu’une mesure de protection des populations civiles, qu’il aurait fallu prendre en Syrie, bien sûr, et qui s’impose aujourd’hui en Ukraine.
MS
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Illustration:
L’Ukraine de Poutine, VASNIC64, 2014, CC BY 2.0
Bonjour. Je suis venu sur votre site avec enthousiasme car j’ai beaucoup entendu parler de ce projet et de vos engagements. Je suis hélas très déçu par cet article. Bien sûr, on ne peut qu’applaudir tout appel à protéger les populations civiles. Mais les protéger de cette manière pourrait conduire à une escalade débouchant sur plus de morts y compris parmi les civils. Donc on ne peut suggérer cette voie sans évaluer le risque d’escalade qui en découlerait et en ignorant les solutions diplomatiques. Il faut donc analyser l’histoire de l’Ukraine et de ses relations avec la Russie et l’occident, avant de plaider pour une solution. Or il n’y a rien dans l’article montrant que l’auteur a analysé ce contexte historique. D’où vient alors cette conviction de la nécessité d’un bouclier aérien ? D’un cri du cœur pour la paix et la protection des civils ? Cela est légitime mais ne suffit pas, car pour beaucoup, la solution diplomatique existe, mais l’occident n’en veut pas. Elle consisterait à s’engager à ce que l’OTAN cesse de s’étendre aux frontières de la Russie, et à créer plutôt une alliance européenne de l’Europe à l’Oural, afin d’assurer la paix sur le continent. L’OTAN a été créée pour assurer la paix, mais en s’étendant, elle crée la guerre, comme le prouve le conflit actuel. Il faudrait aussi se souvenir que la guerre en Ukraine est aussi une guerre civile, et que la solution à ce conflit pourrait être l’autodétermination des provinces orientales de l’Ukraine (Donetsk et Louhansk, dans le Donbass), qui combattent aux cotés des Russes à l’heure actuelle. Il y a eu des tentatives de faire de l’Ukraine un état fédéral dans le passé. Peut être est ce encore possible. Et il faudrait reconnaitre le droit de la Crimée, dont la population est à majorité Russe, à rester annexée à la Russie. Sébastopol est un enjeu géostratégique majeur pour la Russie, car c’est son port sur la méditerranée et la Mer Noire. Si Biden ou Macron étaient Président de la Russie, ils feraient tout également pour garder la Crimée. On n’a jamais vu une grande puissance renoncer facilement à un enjeu géostratégique majeur, et la Crimée semble de toute façon favorable à son rattachement à la Russie. Et si on ne fait pas de concession, on ne peut pas espérer de solution diplomatique. Ce qui resterait de l’Ukraine serait toujours une grande nation, privée seulement de territoires peuplés majoritairement par des Russes et qui se battent aux cotés des Russes dans le conflict actuel. Enfin, il faudrait enquêter sur les causes de décès de populations civiles. Certes toute guerre occasionne des pertes civiles, mais il n’est pas dans l’intérêt de la Russie de cibler des civils. En revanche, il est dans l’intérêt des nationalistes ukrainiens d’avoir des pertes civiles, car cela motiverait l’occident à envoyer plus de forces en appui, et conduirait à ce que les Ukrainiens s’unissent contre les Russes. Je sais, c’est une hypothèse « complotiste ». Mais il y a de fortes présomptions que le massacre de civils a deja été instrumentalisé en Ukraine, lors de la révolution de 2014, du fait de l’implication de groupuscules radicaux d’extrême droite aux cotés des nationalistes Ukrainiens. Alors cela mérite approfondissement et enquête. Certains ont déjà enquêté, et sur la base de cette enquête, ont prédit, en 2019, que ce conflit se déroulerait. Cela donne un certain crédit a leur enquête alors je vous suggère de regarder les deux documentaires produits sur le sujet (première partie, parue en 2016 : https://www.youtube.com/watch?v=9NviwAywa1E&ab_channel=XavierLurthy ; deuxième partie, parue en 2019, désolé je n’ai pas trouvé de version sous-titrée : https://rumble.com/vwy6pm-revealing-ukraine.html). Les effets dramatiques sont agaçants mais vous pouvez couper le son et lire les sous-titres en regardant les images. Voir aussi ce documentaire, beaucoup plus sobre, sur la guerre au Donbass, fait en 2015 (https://www.youtube.com/watch?v=N34ofTb_uYw&ab_channel=GrenobleDebout). A l’époque, c’est contre les forces Ukrainiennes qu’il aurait fallu protéger les populations civiles. Je ne dis pas que ces documentaires donnent la vraie version de l’histoire. Je dis qu’ils sont documentés, qu’ils font intervenir des témoins directs de l’histoire, et que cela leur donne une crédibilité que je n’ai malheureusement pas trouvé dans votre article. J’espère maintenant trouver un matériau documenté explorant l’option consistant à créer un bouclier aérien, car si cela est nécessaire, cela doit être établi. Mais pour l’instant ce n’est pas établi, alors l’émotion ne doit pas conduire à oublier des solutions diplomatiques qui pourraient être le seul moyen d’éviter une escalade dont l’issue pourrait être beaucoup plus tragique que tout ce que nous avons vu jusqu’à maintenant en Ukraine. Mais merci pour l’initiative de votre journal. Je continue, bien sûr, de l’apprécier, car nous avons besoin de voir émerger une presse qui nous aide à sortir de la pensée unique. Je voulais seulement souligner que seul l’enregistrement détaillé des faits, en préalable à toute prise de position et au contact du terrain ou des témoins directs de l’histoire, permettra de formuler des engagements qui échappent aux pièges de cette pensée unique.