« Libérez le Sahel »
Le blocage du convoi de la force Barkhane au Burkina Faso, suivi par les affrontements de Tara, au Niger, comme les récentes manifestations contre le président Kaboré, témoignent d’une mobilisation anticolonialiste qui n’épargne pas les partenaires africains de l’expansionnisme militaire français.
Le samedi 27 novembre à Ouagadougou et dans les autres villes du Burkina Faso, les forces de sécurité ont violemment réprimé les manifestants qui réclamaient la démission du président Kaboré, accusé d’« incapacité » dans la lutte contre les djihadistes. Deux jours auparavant, le chef d’État burkinabé négociait, avec les représentants de nombreuses associations de la société civile, l’arrêt du blocage, à Kaya, de la force Barkhane, en route pour le Niger.
Celle-ci est depuis longtemps la cible de l’exaspération des Burkinabés qui soupçonnent Paris de s’accommoder de la montée en puissance des Islamistes pour justifier son expansionnisme militaire et la poursuite d’une guerre de plus en plus meurtrière pour les populations. Toujours est-il que la mobilisation contre le convoi de l’OPEX française — 60 camions en route pour Gao, au Mali, afin de ravitailler l’armée française — s’est étendue au Niger.
À Téra, dans la région de Tillabéri, la foule qui faisait obstruction au transit des soldats de la force Barkhane a été dispersée par les militaires français, épaulés par les gendarmes locaux, au moyen de tirs à balles réelles. Bilan : trois morts et dix-huit blessés.
« Le mouvement d’hostilité à la présence française a toutes les chances de s’aggraver », avait prévenu cinq jours auparavant Jean-Hervé Jezequel, directeur du « Projet Sahel » à l’International Crisis Group lors d’un entretien sur RFI.
« Armée française dégage »
« Armée française dégage », « Libérez le Sahel », « Plus de convoi militaire d’invasion et de recolonisation français », pouvait-on lire sur les pancartes brandies par les foules qui, à Kaya et à Téra, mais aussi à Ouagadougou ou à Bobo Dioulasso, sont montées sur les barricades pour empêcher aux troupes françaises d’avancer.
Ce mouvement n’a en rien d’une poussée de fièvre spontanée. De nombreux groupes sont derrière l’organisation de ces mobilisations. Parmi les plus importants, la Coalition des patriotes du Burkina Faso (COPA-BF), en lutte pour « une indépendance réelle des pays africains », le collectif Balai Citoyen ou encore le mouvement populaire Sauvons le Burkina Faso, une plate-forme de plus de deux-cents associations créées en 2021, sont à l’origine des manifestations de samedi dernier. Ces collectifs et organisations ont des relais importants au Sénégal, au Mali et au Niger.
Néanmoins, les leaders de ces réseaux, fort enracinés dans les populations, sont appelés à faire preuve de détermination autant que d’intelligence politique, car les autorités locales ne lésineront pas sur les moyens pour casser ce mouvement et la mobilisation d’« une foule cosmopolite », comme pouvait le noter un observateur du blocage du convoi de Barkhane à Kaya.
Au Burkina Faso, internet mobile reste coupé depuis une semaine et le soutien du président Kaboré à la France ne fait pas défaut. Alpha Barry, son ministre des Affaires étrangères s’est exprimé d’une manière tranchante pendant cette nouvelle crise : « La lutte contre le terrorisme est l’affaire de tous les Burkinabés, de notre armée nationale. Il ne faut pas qu’on se trompe d’ennemi, car la France est toujours intervenue à nos côtés lorsque nous lui en avons fait la demande ».
Sur la même longueur d’onde et dans les mêmes circonstances, le chef d’État du Niger, Mohamed Bazoum, a récemment déclaré : « Je suis totalement désolé de la campagne qui est menée contre eux. Je veux que les Français soient forts, parce qu’ils ont, avec cet espace du Sahel, une histoire singulière ».
Face à l’hostilité grandissante et de plus en plus active des populations sahéliennes, Paris ne semble pas disposé à faire de concessions allant dans le sens de l’allégement de son dispositif militaire de « lutte antiterroriste ». Car la restructuration de ce dernier, avec la fermeture annoncée de trois bases au Mali et le retrait prévu d’une partie des troupes françaises, s’appuie en réalité sur une intensification des opérations spéciales contre les forces djihadistes et une plus grande implication des alliés européens et africains.
La fin de l’interventionnisme français ?
« De doutes dans l’opinion sur l’efficacité militaire de l’intervention française, on est passé au rejet politique de la France de grande ampleur, y compris dans un pays où l’empreinte militaire est légère. Ça sent la fin pour l’interventionnisme français. »
— Yvan Guichaoua
Les prévisions de l’expert belge du dossier Sahel, Yvan Guichaoua, risquent de se heurter à la volonté de Paris, la France persistant dans sa stratégie d’extension de la guerre.
En témoignent les dépenses accrues de son budget de Défense[1], la multiplication des exécutions de dirigeants islamistes, dont les résultats sur le terrain sont encore à prouver, et l’utilisation de l’arsenal doctrinal de la « guerre révolutionnaire » antisubversive, comme l’emploi des milices tribales, qui s’est révélé un délétère accélérateur des affrontements interethniques.
Reste cependant que le constat du « rejet politique de la France de grande ampleur » est exact.
Il demeure un facteur possible de changement des rapports de forces entre les populations sahéliennes et les organisations qui les soutiennent, et ceux qui décidèrent de « voler au secours du Mali » en janvier 2013 pour y « rester 100 ans à nouveau »…
Luigi Elongui
Note :
[1] La loi de programmation militaire s’est traduite par une hausse progressive des investissements sans précédent, qui vont atteindre, en 2022, 1 milliard d’euros par an, c’est-à-dire 38 % de plus qu’au cours de la précédente loi de programmation militaire.
Plus d’information :
— Sahel : « Le mouvement d’hostilité à la présence française a toutes les chances de s’aggraver », RFI, 22 novembre 2021
— Jean-Dominique Merchet, Yvan Guichaoua: «Une lame de fond antifrançaise au Sahel», L’Opinion, 17 décembre 2019
— Philippe Chapleau, ENTRETIEN. Au Sahel, espérer une victoire définitive «n’a aucun sens», Ouest-France, 28 novembre 2019
Illustration:
Thomas Goisque, Photo aérienne du fort de Madama – Niger, novembre 2014. (CC BY-SA 3.0)
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