L’Ukraine à la croisée des chemins : non-intervention ou devoir d’ingérence?

par | 24 Mar 2022 | Analyses

— D’abord, mettre un terme au soutien massif apporté à la Russie en lui achetant tous les jours pour 700 millions d’hydrocarbures… argent qui finance, bien sûr, la guerre russe… et les bombes qui tuent les civils ukrainiens…

Il y a plus qu’un droit, une obligation d’intervenir pour protéger les populations quand elles sont menacées par des forces militaires.

Un État disposant de moyens suffisants pour empêcher un crime contre la population d’un autre pays est tenu d’en user. La non-intervention s’assimile à de la complicité active, la passivité devenant une condition d’exécution du crime. Qui peut protéger doit le faire. S’épargner d’intervenir est simplement criminel.

Ainsi, aujourd’hui, le peuple et les autorités légitimes d’Ukraine demandent avec insistance, maintenant depuis des semaines, que soit « fermé le ciel », et instaurée une zone d’interdiction aérienne au-dessus des villes ukrainiennes qui sont soumises aux bombardements de l’armée russe.

Rappelons que le recours aux bombardements aériens, dits « stratégiques », est en soi une méthode criminelle, car les bombes tombent non sur des adversaires militaires, mais sur des civils désarmés, de façon totalement indiscriminée, tuant hommes, femmes et enfants pareillement.

La pratique de ces bombardements aveugles « derrière les lignes » revendique d’ailleurs de n’avoir aucun objectif militaire, mais simplement la volonté de « saper le moral » de l’adversaire. Une méthode doublement égarée puisqu’on sait que, loin d’atteindre cet objectif, les assassins qui recourent à ce moyen provoquent le plus souvent le résultat inverse… une collectivité agressée de façon aussi ignoble se voyant, au contraire de « démoralisée », soudée, et d’autant plus déterminée à résister.

Les « guerres totales », où l’on recourt à ce moyen abject, ne sont que guerres d’extermination, comme on a pu voir il y a longtemps à Guernica, puis à Dresde, Hiroshima et Nagasaki, et comme on a pu revoir à Grozny, puis à Alep. Et partout en Syrie — où il a fallu raser le pays pour que des forces militaires étrangères, russes, iraniennes et libanaises, en finissent avec la volonté démocratique du peuple syrien. « Tuez-les tous », c’est la seule devise de ceux qui envoient des explosifs du ciel en quantités telles qu’on parle de « tapis de bombes ».

Lorsqu’un peuple se fait exterminer, il y a lieu de parler de génocide. Il n’est pas interdit, en l’occurrence, de se souvenir que ce n’est pas la première fois que la Russie vise les Ukrainiens… Ainsi sous Staline, dans les années trente, l’Holodomor a vu mourir de faim des millions de personnes, car, comme Poutine, Staline voulait briser l’Ukraine. La propagande suffira alors à camoufler ce crime effroyable.

Aujourd’hui, l’agression à coups de bombes est plus voyante. Et détourner le regard plus difficile.

Or, que peut-on faire contre cette violence sans nom, à l’heure où Kiev et Odessa sont menacées après que Marioupol ait été rasée ?

D’abord cesser de soutenir l’agresseur ! Car c’est bien ce que font les pays européens, en versant quotidiennement 700 millions de dollars à la Russie pour son gaz… Beaucoup d’argent, plus qu’il n’en faut pour payer bombes et soldats. Ainsi, c’est l’Europe qui finance la guerre de Poutine contre l’Ukraine !

L’hypocrisie des sanctions économiques, qui frappent surtout le peuple russe, alors qu’on verse à son État de quoi payer la destruction des villes ukrainiennes, est un scandale de plus. À ce prix là, ce n’est pas de la « non-intervention », mais bien un soutien direct à l’agresseur, un soutien qui se renouvelle tous les jours ! Il y a là bien plus que de la complicité, mais une participation active au crime, lorsqu’on lui apporte ainsi massivement ses moyens.

La menace atomique agitée par Vladimir Poutine pour accompagner le mouvement, servant d’alibi à la lâcheté européenne, devrait être raison de plus pour intervenir, y compris militairement, comme cela s’impose pour faire cesser sans délai les bombardements. Mais la façon la plus simple de mettre un terme à l’agression ignoble que subit l’Ukraine, sans même prendre le risque d’ajouter à la guerre, c’est de cesser d’acheter son gaz à la Russie…

Précisons que c’est simplement absurde de continuer à s’approvisionner ainsi en hydrocarbures au prix de la liberté des peuples… On n’achète là que des énergies fossiles dont on sait par ailleurs combien il est urgent de se débarrasser. En attendant, il y a, bien sûr, d’autres fournisseurs, mais surtout la crise ukrainienne serait l’occasion de franchir le pas vers une planète durable, en recouvrant l’Europe des panneaux photovoltaïques dont elle a tant besoin si on veut avoir la moindre chance de préserver un avenir viable pour les générations futures.

L’Europe est collectivement coupable, comme les États-Unis, qui jouent le rôle du chiffon rouge, offrant à Poutine le prétexte de ses agressions, sans pour autant prendre de mesures efficaces en faveur de l’Ukraine, n’offrant ni la couverture aérienne ni les moyens de se défendre eux-mêmes aux Ukrainiens, armes et munitions ne leur parvenant qu’au compte-gouttes, un peu plus qu’en Syrie, mais toujours insuffisamment pour changer la donne, permettant une extermination prolongée, comme en Syrie.

Pire encore que l’inaction américaine, en Europe, chaque pays participe directement à l’écrasement de l’Ukraine libre, en achetant tous les jours son gaz et son pétrole à Moscou. Et dans ce jeu ignoble, l’Allemagne, l’Italie et la France sont en première ligne. Tous sont responsables. Chacun l’est. Nous-mêmes, clients d’Engie, participons aux bombardements de Marioupol et de Kharkiv en faisant tourner nos chaudières.

Sans attendre, c’est Engie qui doit arrêter d’acheter du gaz, c’est Total qui doit suspendre ses activités pétrolières en Russie, et c’est EDF qui doit se retirer de l’industrie nucléaire russe — trois entreprises françaises qui payent les bombes de Poutine en même temps qu’elles tirent de plantureux bénéfices de ses fournitures.

Les vraies « sanctions » économiques sont là, et celles-ci seraient suffisantes pour changer complètement le rapport de forces qui sinon ne pourra que broyer le peuple ukrainien sous nos yeux. On s’exposerait à manquer de gaz une saison ? Qu’à cela ne tienne ! Le Printemps arrive, et les énergies renouvelables ne demandent qu’à être installées en très grande vitesse, sans parler des fournisseurs alternatifs, qui peuvent suppléer en attendant. Rien d’impossible à un tel scénario. Et nul besoin d’attendre l’accord de tous pour le mettre en œuvre.

De même, la France seule dispose de moyens militaires suffisants pour assurer l’indispensable exclusion du ciel ukrainien de l’aviation russe. Des Rafales décollent quotidiennement pour assurer d’inutiles « reconnaissances » en Pologne ou en Moldavie, se gardant de franchir la frontière ukrainienne, alors même que les autorités ukrainiennes ne demandent que ça, pour assurer la sécurité de leurs villes dont les populations sont aujourd’hui martyrisées par l’aviation russe.

La France se contenterait de ces gesticulations coûteuses et inutiles parce qu’on craindrait la menace atomique… Mais comment espère-t-on mener quelque politique que ce soit, si l’on est prêt à céder au premier maître chanteur qui l’invoque ? Ne comprend-on pas que de se soumettre alors correspond techniquement à une vassalisation ? Quelle liberté espère-t-on préserver après ?

En août 1961, l’ambassadeur de Russie à Paris venant expliquer au général de Gaulle que Krouchtchev était prêt à la guerre — contre le pont aérien auquel la France participait pour sauver Berlin alors que s’y dressait le « mur » —, avec humour de Gaulle lui répondit tranquillement : « Eh bien, monsieur l’ambassadeur, nous mourrons ensemble… » C’est la seule posture digne. Car la peur n’est pas une politique. Quand on tremble face à la menace, il n’y a plus qu’à fuir ou ramper. Mais il n’y a nulle part où fuir. Alors, on rampera…

Aujourd’hui, si Poutine menace d’apocalypse, ce n’est même pas pour intimider les gouvernements, qui le soutiennent tous activement, quoi qu’ils en disent — comme le maintien des fournitures en énergies fossiles le prouve amplement —, mais seulement pour les peuples, pour les encourager au pacifisme munichois et essentiellement « collabo » qui les anime, inspirés par leurs élites corrompues jusqu’à la moelle qui excluent l’idée même d’une résistance à la pression venue de l’est.

On sait que l’ancien premier ministre français François Fillon, critiqué dans son parti, aurait renoncé à toucher officiellement rémunération de Moscou, mais l’ex-patron d’EDF, Henri Proglio, revendique, lui, de ne pas en faire autant, l’alliance avec Rosatom étant considérée comme stratégique — de même que Dominique Strauss-Kahn resterait salarié de Poutine, comme l’ancien premier ministre allemand Gerhard Schröder et bien d’autres… ? Cette fusion de la plus haute administration française, allemande et russe est certes choquante, mais surtout laisse rêveur.

Ainsi, ce n’est pas seulement l’alliance franco-russe qui perdure, mais bien l’axe Paris-Berlin-Moscou qu’ambitionnaient les nazis, dans l’idée d’accomplir le Kontinentalblock théorisé par Karl Haushofer, par ailleurs théoricien de « l’espace vital » au nom duquel Hitler envoyait ses divisions sur les Sudètes tchécoslovaques, puis sur la Pologne, avant d’envahir la Belgique et la France… Les nazis contemporains, très écoutés à Moscou, prolongent cet axe et complètent l’idée d’Haushofer en parlant d’un axe Paris-Berlin-Moscou-Pékin. Ou, mieux encore, en incluant New Delhi… C’est bien ce délire « géopolitique » qui tente de se mettre en place aujourd’hui sur le dos du peuple ukrainien. Où il s’agirait d’opposer un empire « continental » à l’empire « maritime » anglo-américain…

Suivant la pensée d’Alexandre Douguine, Moscou serait la Troisième Rome, remodelant l’Europe sous une chape dite « nationaliste ». Ce n’est pas abuser de parallèles si on voit déjà s’aligner les partis destinés au rôle de « collabos » — le Front national prend déjà son argent à Moscou et arrive au deuxième tour de l’élection présidentielle avec ça. Mais lequel pourrait se dire innocent quand tous vont à la soupe ? Droite et gauche se bousculant là où l’extrême droite est chez elle…

On aura néanmoins compris qu’au fond, l’exacerbation des tensions n’a pour but que de faire tourner la machine militaire, le complexe militaro-industriel ayant partout les mêmes intérêts, en France comme en Amérique ou en Russie. La guerre permet de gonfler les budgets de tous mieux encore que le terrorisme. Et on s’assure au passage l’écrasement de la liberté, tel que l’ambitionnaient les Syriens. Cette liberté déjà mise à mal avec le covid. Cette même liberté que les Ukrainiens tentent de sauver aujourd’hui dans une solitude extrême, abandonnés de tous. Car c’est plié : les « anglo-américains » ne bougeront pas un petit doigt pour l’Ukraine. Pas plus que les Européens.

Dans un décor aussi sinistre, c’est à Taiwan qu’on peut déjà se faire du souci. Car qui viendra sauver la liberté là si on l’abandonne aussi froidement à Kiev ? Hong Kong a déjà été sacrifié — sans parler des Ouïghours. En Birmanie aussi la violence d’État à libre cours, et si Total finit par se retirer, après avoir financé l’armée birmane depuis trente ans, c’est à l’heure où la relève est assurée par la Chine qui prévoit un gazoduc plus énorme encore, pérennisant la dictature plus sûrement. La couverture apportée par « le pays des droits de l’homme » n’est plus utile quand la barbarie sort, « sans complexes », à visage découvert, de Moscou à Rangoon en passant par Pékin.

Si l’Europe ne peut pas tenir sa promesse, c’est aux États, à chacun d’entre eux, et d’abord à la France, seule puissance militaire opérationnelle dans l’Union européenne, que revient de se déterminer, s’engager pour défendre la liberté — ou pas.

Et si ce n’était aux États, ce serait à tout un chacun de faire grève des hydrocarbures pour l’Ukraine et pour le climat. Pour un monde durable et libre.

Car si l’Ukraine disparaissait, comme le souhaitent Douguine et Poutine, c’est une longue nuit qui pourrait s’abattre sur terre.

 

MS

 

Illustration: Ukrainians crowd under a destroyed bridge as they try to flee crossing the Irpin river in the outskirts of Kyiv, Ukraine, Saturday, March 5, 2022. (AP Photo/Emilio Morenatti) | CC Attribution 4.0: mvs.gov.ua

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