LIBÉRALISME AUTORITAIRE ET SURVEILLANCE DE MASSE
Le « Projet de loi Responsabilité pénale et sécurité intérieure », après adoption par le Sénat le 19 octobre dernier, poursuit sa « navette parlementaire », une commission mixte paritaire réunissant des élus des deux chambres (Assemblée et Sénat) ayant été appelée à poursuivre le travail législatif.
Comme lors du vote de la loi « Sécurité globale », associations et collectifs sont mobilisés contre un projet de loi qui est dénoncé comme instaurant un « véritable sécuritarisme d’État », avec en ligne de mire la Coupe du Monde de Rugby et les prochains Jeux olympiques et paralympiques de Paris.
Organisant, à la suite des dernières lois sécuritaires, la mise en place d’un « continuum de sécurité », ce projet de loi participe de la privatisation de la sécurité publique, au bénéfice des entreprises de Sécurité et des industriels de la Sécurité-Défense ainsi que des solutions, produits et services qu’ils proposent : techno et vidéo surveillance de masse, « vigilisation » de la société.
Le « Projet de loi Responsabilité pénale et sécurité intérieure » s’inscrit aussi dans un processus de « globalisation de la contre-insurrection », la baisse des coûts de la surveillance induite par sa technologisation devant permettre sa généralisation pour appuyer l’État dans ce qui se caractérise de plus en plus comme l’une de ses fonctions principales : « mater » les opposants et manifestants, « pacifier » villes et campagnes.
Déjà adopté par l’Assemblée nationale en première lecture le 23 septembre 2021, ce nouveau projet de loi avait été présenté « en procédure accélérée » par le gouvernement, en juillet dernier, pour limiter « l’irresponsabilité pénale », renforcer la répression des atteintes commises contre les forces de l’ordre ainsi que le contrôle des armes et explosifs, créer une réserve opérationnelle de la police nationale et étendre la captation d’images par « les forces de sécurité intérieure », y compris « légaliser » celles effectuées par drones — d’où le sobriquet de « loi Drone 2 » que lui ont affublé les organisations et collectifs.
Le Syndicat de la Magistrature, analysant les dispositions du projet de loi présenté comme venant parachever le « long travail de sape de l’État de droit » mis en œuvre par Emmanuel Macron et ses prédécesseurs, le résumait ainsi :
« Ce projet de loi pilonne tous azimuts, de la responsabilisation des malades mentaux au développement de dispositifs de surveillance de masse, en passant par la signalétique forcée des mineurs, et racle pour les recycler toute une série de dispositions récemment censurées par le Conseil constitutionnel ou le Parlement. »
— « Observations détaillées sur le projet de loi responsabilité pénale et sécurité intérieure », Syndicat de la Magistrature, 21 septembre 2021
Des organisations, parmi lesquelles La Quadrature du Net, Attac, Les Amis de la Terre France ou encore la FDN ou donc le Syndicat de la Magistrature publiaient le jour de l’adoption de la loi en première lecture au Sénat une « Lettre ouverte contre la loi “Drone 2” » pointant certaines de ses mesures liberticides : extension de la surveillance et de la vidéosurveillance [1], y compris des espaces privés, autorisation donnée à la police de « recourir à la violence physique pour obtenir des empreintes digitales », y compris « d’enfants de 13 ans »…
Si, pour satisfaire aux syndicats policiers, la loi entend aussi encore « renforcer la répression des atteintes commises contre les forces de l’ordre », elle s’inscrit plus largement dans le développement d’un « continuum de sécurité » « à la française [2] » mis en œuvre par les agents de l’État (Justice, Polices et Armée) et les agents de l’industrie de la Sécurité privée (FFSP) avec les moyens développés par l’industrie de Défense (GICAT) : État et industriels hexagonaux se proposant ainsi de « coproduire ensemble la sécurité » des Français, mais aussi de conquérir de nouveaux marchés à l’export [3].
Des lois « DEF-SEC », pour satisfaire l’industrie ?
Le projet de loi « Responsabilité pénale et sécurité intérieure » s’inscrit dans une logique de surenchère sécuritaire en œuvre depuis le milieu des années 1990, la militarisation et la technologisation de la surveillance devant participer du développement du marché de la Sécurité et de la Défense.
« Au cœur du continuum Défense-Sécurité, en raison de la dualité des enjeux et des savoir-faire de ses industriels, le GICAT a progressivement étendu son périmètre d’activités à la Sécurité, tout en maintenant ses compétences historiques dans le domaine de la Défense. »
— Présentation des secteurs d’intervention du GICAT
Les industriels hexagonaux de ces secteurs voient notamment leurs intérêts défendus par le Groupement des industries de défense et de sécurité terrestres et aéroterrestres (GICAT) dont le « label » ou « programme » Generate livre dans ses rapports la synthèse d’une veille technologique sur « l’innovation pour la Défense et la Sécurité » qu’on pourrait croire issue de romans dystopiques : pilules [4] permettant d’augmenter la performance des « opérateurs » humains, « robots caméléons [5] » et drones sous-marins de surveillance et d’espionnage « bio-inspirés », communication sans fil 6G, dispositif « capable de forcer une personne au silence » [6], drones et robots autonomes, Intelligence artificielle (IA) « prédictive » [7]…
« Le GICAT apporte à ses adhérents une veille commerciale mutualisée sur les secteurs Véhicules Terrestres Militaires, Aéroterrestre (Drones, Hélicoptères, Missiles), C4ISR-Optronique, Soutien logistique et Homeland Security (Gestion des foules, Protection de sites, Situations d’urgence). »
— Extrait de la « présentation des services » proposés aux adhérents du GICAT
« Veille technologique », mais surtout lobbying et aide à l’exportation (« Pavillons France » et espaces dédiés dans les principaux salons, missions de prospection et surveillance des appels d’offre, financement à l’export, lobbying pour défendre les « positions communes des industriels vis-à-vis des administrations » sur le contrôle des exportations [8], mises à disposition de références normatives — Référentiel Normatif des Programmes d’Armement — pour la rédaction des spécifications techniques…) :
« Le GICAT défend les intérêts de la profession auprès des hautes autorités politiques et gouvernementales, civiles et militaires, nationales, européennes et internationales. »
L’action de lobbying du GICAT en soutien aux industriels français du secteur n’est pas isolée. Parmi d’autres syndicats, groupements et lobbys œuvrant pour le complexe militaro-sécuritaire [9], on pourrait également mentionner la Fédération Française de la Sécurité Privée (FFSP), « véritable maison commune de la sécurité privée » qui « œuvre à une meilleure reconnaissance du monde et des activités de la sécurité privée » et « à une meilleure prise en compte de celles-ci dans la politique globale de sécurité. »
« L’industrie de Défense, un acteur économique central pour la France.
La Sécurité, un marché en pleine croissance. »
— Présentation des « secteurs d’intervention » du GICAT
Le GICAT et la FFSP se sont d’ailleurs associés depuis le 10 mars 2021 [10] « pour promouvoir les industries et services français de sécurité ». Pour Claude Tarlet [11], le président de la FFSP, il s’agit d’un « partenariat historique » réunissant « le monde du service » et « le monde des grands constructeurs de systèmes de sécurité-défense » :
Aux termes de la convention de partenariat signée entre les deux lobbys, « le GICAT s’engage à favoriser l’établissement de pratiques commerciales et accords favorisant un développement équilibré des grands groupes et des PME françaises offrant des produits ou services de sécurité, afin de promouvoir le savoir-faire français, notamment dans le cadre des appels d’offres liés aux événements de portée mondiale, comme la Coupe du Monde de Rugby en 2023 et les Jeux olympiques en 2024. »
— Communiqué de presse
L’État, le « monde du service » et le « monde des grands constructeurs de systèmes de sécurité-défense »…
« La réussite des prochaines grandes manifestations sportives organisées en France se traduira nécessairement par une démarche active de coproduction, un “Continuum” intégrant les sociétés de sécurité privée de l’événementiel et les forces de sécurité publique de l’État. »
— Organisation des professionnels de la sécurité événementielle (OPSE), site Internet de l’organisation.
Technopolice [12] rappelle que les événements sportifs, comme les prochains Jeux olympiques et paralympiques d’été, à Paris, « semblent être de parfaits tremplins » à la mise en œuvre d’un véritable « sécuritarisme d’État » qui s’inscrit, selon le collectif, dans le prolongement de décisions, lois et de décrets incluant « la loi Sécurité globale, les décrets PASP, GIPASP et EASP, celui autorisant la vidéosurveillance automatisée dans les transports pour la détection de masques, la multiplication des caméras de vidéosurveillance aux quatre coins du pays, la commande de 600 nouveaux drones par le ministère de l’Intérieur, l’utilisation de plus en plus fréquente de la reconnaissance faciale via le fichier TAJ par la police »…
C’est en effet pour la Coupe du Monde de Rugby et les prochains Jeux olympiques que se mobilisent activement depuis quelques mois les acteurs de l’industrie de Défense et de Sécurité, car en plus d’être de lucratifs marchés, ces deux événements sportifs « planétaires » représenteront une vitrine internationale pour les solutions et produits, savoir-faire et services français :
Équipements, software, hardware et services
Protection de sites, sécurité électronique, vidéosurveillance, surveillance des systèmes électroniques, traitement d’images, sécurisation des communications, systèmes optroniques, technologies de brouillage et de lutte anti-drone, gestion de situations d’urgence, logistique, transport de fonds, télésurveillance et téléservices, outils de télémesure, gardiennage, algorithmes d’analyse, sécurité des personnes, sécurité événementielle, véhicules terrestres et aéroterrestres, sûreté aéroportuaire, prévention des risques, audit de sûreté…Mais aussi armements sublétaux, armements létaux, vidéosurveillance automatisée, gestion des foules, intelligence économique, interfaces homme-machine, drones, intelligence artificielle et dispositifs d’aide à la décision, formations de défense, captation et analyse de l’information et des données, enquête, décryptage, formations de sécurité…
(…)
Claude Tarlet et les industriels du secteur se disent investis d’« une prise de conscience inédite de l’enjeu commun de souveraineté dans un domaine aussi capital que la sécurité », attendant des « pouvoirs publics qu’ils se placent à la hauteur et favorisent réellement les solutions françaises ».
… pour la mise en place d’un véritable « sécuritarisme d’État »
L’analyse des résultats des différents appels d’offres passés dans le cadre de l’organisation de la Coupe du Monde du Rugby et des Jeux olympiques et paralympiques permettra de savoir si « un pourcentage garanti » pour les « PME françaises indépendantes » aura été de mise, comme le demande la FFSP, ou si les « grands groupes » hexagonaux du secteur, représentés par le GICAT, auront vu leurs intérêts défendus.
Les recommandations de la Délégation interministérielle aux Jeux olympiques et paralympiques (DIJOP [13]) et les décisions des différents « Directeurs de sécurité [14] » ne manqueront sans doute pas de répondre aux préoccupations des industriels français du secteur.
Le déploiement des solutions promues par l’appareil sécuritaire d’État et vendues par l’industrie — généralisation de la techno et vidéo surveillance, participation accrue d’« agents [15] » salariés par les entreprises aux missions de sécurité — nécessitait cependant une évolution des lois françaises [16] relatives au Renseignement et à la Sécurité intérieure.
La « réforme structurelle » du Renseignement « entreprise en 2009 [17] » et qui a donné naissance à des législations autorisant une techno surveillance de masse — la Loi sur le renseignement de 2015 [18], celle de juillet 2021 [19] — vient ainsi appuyer la refonte de la Sécurité intérieure ayant accouché, quelques années plus tôt, des Lois d’orientation et de programmation pour la sécurité intérieure (LOPPSI [20] et LOPPSI 2 [21]) puis de la création du Conseil national des activités privées de sécurité (CNAPS), renforcée, pour les années à venir, par Le Livre blanc de la sécurité intérieure [22], instaurant un véritable « État policier » que dénoncent collectifs et associations depuis deux décennies.
« Avec le développement de la télévision et le perfectionnement technique qui rendit possibles, sur le même instrument, la réception et la transmission simultanées, ce fut la fin de la vie privée.
Tout citoyen, ou au moins tout citoyen assez important pour valoir la peine d’être surveillé put être tenu vingt-quatre heures par jour sous les yeux de la police. »
— Georges Orwell, 1984 [23]
Pas encore totalement (? [24]) la « fin de la vie privée », mais « une obsession sécuritaire » de l’appareil d’État qui porte « une atteinte grave aux droits fondamentaux », non pas permise par « le développement de la télévision » imaginé par Orwell, mais par l’arrivée d’Internet, des téléphones portables et des smartphones [25], par les drones, les systèmes de guidage par satellite, les caméras optroniques, l’extension des capacités de stockage et d’analyse — y compris automatisée par l’« intelligence artificielle », le « Deep Learning [26] » et la reconnaissance faciale : une surveillance généralisée, « de masse », que permet aujourd’hui le développement des nouvelles technologies — matérielles et logicielles — et qu’ont légalisées, en France, les dernières lois de Renseignement.
Cette obsession sécuritaire est donc également portée dans les dernières lois de Sécurité intérieure, comme par de nombreux décrets. En plus de mettre en place des dispositifs de plus en plus restrictifs des libertés individuelles [27] au bénéfice d’une surveillance généralisée, elle s’inscrit dans un vaste processus de privatisation de la sécurité publique.
C’est même l’objectif affiché de la création de ce « continuum de sécurité », partout vanté comme la panacée en la matière, sans que la « vigilisation » et la généralisation de l’usage de ces « armées » privées ne soit jamais questionnée [28]. Au contraire, il s’agirait de les armer de plus en plus et de leur confier certaines des missions régaliennes de l’État.
« Considérant la sécurité intérieure comme une “sécurité globale” à gérer dans “un continuum”, plaçant sous l’autorité du ministère de l’Intérieur les polices municipales, mais aussi la sécurité privée, il vise à constituer ainsi un effectif total de plus de 500 000 agents publics et privés obéissants à la même doctrine, chargés de “sécuriser” et contrôler les Français, appuyés par des drones et des milliers de caméras. »
— « Le Livre blanc de la sécurité intérieure est un rêve policier orwellien », Tribune signée d’anciens hauts cadres de la police et du sociologue Christian Mouhanna, Le Monde, 17 décembre 2021.
La surenchère sécuritaire mise en œuvre par les derniers ministres de l’Intérieur [29], qui ne manque pas de s’illustrer dans la course présidentielle en cours, trouve ainsi son prolongement dans le projet de loi « Responsabilité pénale et sécurité intérieure », à la suite de la loi « Sécurité globale », dont il recycle, selon le Syndicat de la Magistrature, « une série de dispositions récemment censurées par le Conseil constitutionnel ou le Parlement ».
Cette surenchère, qualifiée par ses opposants de « dérive », répond aux besoins de l’appareil sécuritaire [30] et du « complexe militaro-industriel », autant par la part grandissante de l’utilisation qui y est promue des agents des entreprises privées dans l’organisation de la sécurité publique que par la généralisation de la surveillance de masse et, avec ce projet de loi, la légalisation de la surveillance aérienne.
Une Loi « Drone 2 » ?
Le gouvernement, à travers ce projet de loi « Responsabilité pénale et sécurité intérieure », entend donc légaliser la surveillance par drones, dont le Conseil d’État et la CNIL ont rappelé qu’elle était jusque-là illégale, et par hélicoptères, dont La Quadrature du net note qu’elle est, elle aussi, largement utilisée sans être encadrée par le moindre texte de loi, et depuis plusieurs années, par la police et la gendarmerie [31].
En plus des hélicoptères — et en prévision du remplacement de ces derniers ? — et des drones de la police et de la gendarmerie, des drones MALE (pour moyenne altitude et longue endurance) affectés à l’armée française ont été utilisés pour surveiller le dernier défilé du 14 juillet. On peut imaginer qu’ils le seront aussi pour « sécuriser » les prochains grands événements sportifs :
Ces drones Reaper de l’armée sont également engagés au Sahel, au sein de l’opération Barkhane, où ils effectuent des missions de reconnaissance et de surveillance, mais aussi, depuis 2019, des attaques mortelles contre les populations au moyen de bombes guidées par laser.
À cette surenchère technologique pour surveiller le territoire national avec des moyens militaires s’ajoutent la généralisation promise par le projet de loi « Responsabilité pénale et sécurité intérieure » de la surveillance aérienne, et plus globalement, l’extension de la vidéosurveillance : multiplication des caméras dans les transports, dans l’espace public et dans les espaces privés — magasins, centres commerciaux, halls d’immeuble…
« Guerre moderne » : surveillance de masse, vigilisation et mécanique contre-insurrectionnelle
Les solutions mises en avant par cette privatisation de la sécurité restreignent les droits et libertés des citoyennes et citoyens, les exposant donc à une surveillance généralisée — techno et vidéo surveillance policière, mais aussi surveillance et contrôle d’« agents » non « étatiques », salariés des entreprises privées (depuis les vigiles et agents de sécurité jusqu’aux mercenaires et paramilitaires) ou recrutés au sein même des populations (des « indics » aux « voisins vigilants » et jusqu’aux volontaires [32] et miliciens). À cette liste il ne faut pas manquer d’ajouter les opérateurs de réseaux (Internet et téléphone) et les algorithmes et personnels des GAFAM à qui une partie de la surveillance est sous-traitée ou dont les appareils sécuritaires, comme d’ailleurs n’importe quelle société commerciale, peuvent utiliser les données [33].
Malgré l’inéluctabilité de sa progressive mise en place, jamais ouvertement annoncée en ces termes — de la même façon que la classe politique évite aujourd’hui d’afficher sa participation à la privatisation de l’École ou de l’Hôpital [34] — la marchandisation de la sécurité publique s’inscrit à l’ordre du jour d’un agenda politique et idéologique :
« La contre-insurrection fournit ainsi par principe l’une des boîtes à outils importantes de la restructuration néolibérale et sécuritaire. »
— Mathieu Rigouste
La « marchandisation de la violence » — ou de « la férocité » comme l’appelle aussi Rigouste, accompagnant « l’hybridation » des champs policiers et militaires progressivement mis en place depuis les années 90 [35] trouve sa naissance dans la restructuration du capitalisme ayant accouché de ce qu’il est convenu de qualifier comme « le néolibéralisme », mais dont son autre appellation, « le libéralisme autoritaire », traduit mieux l’idéologie et le projet.
Contrairement à l’idée souvent propagée, il ne s’appuie pas sur une demande de « moins d’État [36] », mais sur le fait que celui-ci soit entièrement dévoué à la défense « du marché », son action se voyant limitée à ses dites « fonctions régaliennes » : organisation du marché (monnaie et finances) et maintien de l’ordre [37] permettant son action et son plein déploiement, au niveau national et international (sécurité, défense et diplomatie).
« Dans la très grande majorité des pays où une mécanique contre-insurrectionnelle a été mise en œuvre, on observe des processus de privatisation et de précarisation massifs articulés à une réduction de l’État à ses fonctions militaires et policières ».
— Mathieu Rigouste
Une défense des intérêts du « business » décrite par Grégoire Chamayou [38] comme s’opposant, depuis les années 70 et jusqu’aujourd’hui à une société civile de plus en plus contestataire, car subissant, chaque jour davantage, les effets délétères — sociaux et environnementaux — des politiques promues : extension du marché à la santé, à l’éducation, aux semences, à la protection sociale… à la sécurité et à l’ordre public, comme on l’a vu, et jusqu’à « l’environnement » avec le marché des émissions de gaz à effet de serre et autres « droits à polluer ».
Impulsé par le monde des affaires aux États-Unis et en Grande-Bretagne à partir des années 1960-1970, éprouvé dans le « laboratoire chilien » avant sa globalisation, le « néolibéralisme [39] », pour endiguer les mouvements sociaux, sociétaux et écologiques qui se mobilisent contre les conséquences de sa mise en œuvre, nécessite le déploiement d’un « nouvel art de gouverner [40] », étroitement lié aux dynamiques et modalités de la « guerre moderne », qui se caractérise en ce qu’elle est, principalement, une guerre à, ou contre, la population :
« La globalisation de la contre-insurrection est liée à l’essor du capitalisme sécuritaire notamment parce qu’elle propulse la plupart des nouvelles doctrines, technologies, et des nouveaux matériels et marchés militaro-policiers dominants. Des hélicoptères aux drones, des systèmes de surveillances aux systèmes de communication, des matériels de pacification aux armes sublétales, des laboratoires de recherche et innovation aux ateliers de maintien en condition opérationnelle, des think tanks aux amphithéâtres universitaires, des artisans en balistique aux consortiums transnationaux de production d’armes de guerre, la mondialisation de la contre-insurrection se déploie en même temps qu’un système de marchés géants. »
— Mathieu Rigouste, « Le marché global de la violence » postface de Lesley J. Wood, « Mater la meute La militarisation de la gestion policière des manifestations ».
Derrière les nouveaux concepts d’« approche globale » et de « continuum de sécurité » ou la remise au goût du jour du « civilo-militaire » promus par l’industrie et les appareils sécuritaires (Polices et Armée), se cache le déploiement d’une dynamique « contre-insurrectionnelle [41] » de « guerre permanente » et « de basse intensité » contre les populations visant à « pacifier » les villes et les campagnes et à « mater » les mobilisations sociales.
Une « restructuration sécuritaire » décrite par Mathieu Rigouste et qui poursuit son cours au gré des décrets, des LOPPSI et autres lois de « Renseignement » et de « Sécurité intérieure », instaurant une véritable société « panoptique » de surveillance généralisée.
« Parmi toutes les technologies qui contribuent à cette sécurisation et au contrôle de la population, l’une se distingue entre toutes parce qu’elle articule dans son effectivité même un pouvoir de connaissance des individus et un pouvoir de normalisation des conduites. C’est la technologie de la surveillance. La surveillance, au sens le plus général, apporte des informations, ou comme on dit dans la police, des “renseignements”, c’est-à-dire un savoir qui peut s’accumuler sur des individus, des groupes, des entités morales. Cette fonction est inséparable d’un autre effet, qui est d’orienter les conduites, de les modifier, voire de les corriger ou de les normaliser par l’effet même du regard braqué, qu’il soit réel ou virtuel, sur les individus, par l’effet du savoir qui peut s’accumuler sur eux. La technologie de la surveillance est ainsi particulièrement bien adaptée à notre société, au point de pouvoir faire de notre société, selon un certain nombre de commentateurs, une véritable “société de surveillance”. »
— Christian Laval, « Surveiller et prévenir. La nouvelle société panoptique », Revue du MAUSS, 2012/2 (n° 40), p. 47-72.
Elle nécessite que la peur [42] soit entretenue dans la société, suscitée par l’entremise des médias, des GAFAM et des algorithmes de leurs réseaux « sociaux », comme de la classe politique : peur [43] des attentats et du terrorisme [44], peur des pauvres et parmi eux des plus pauvres, « les jeunes » et les migrants, peur des dealers et des drogués, peur des militantes et militants [45], des musulmans, des juifs ou du « Grand remplacement »… peur des virus… peur des manifestants ou peur d’aller manifester.
« L’industrie des nouvelles technologies transforme les pratiques et les imaginaires collectifs. La culture dominante se restructure autour de la peur, du risque et de l’insécurité. »
— Mathieu Rigouste
Bien que la technologisation, pas plus que l’extension de la surveillance et de la vidéosurveillance [46] n’ont pu montrer, jusque-là, d’effet notable sur la sécurité des populations [47], elles sont donc promues en entretenant « la peur », ce préalable à l’acceptation de la « sécuritisation [48] » des enjeux et du débat public, mais qui permet surtout que puisse se déployer un véritable « sécuritarisme d’État », dénoncé par les organisations signataires de la Lettre ouverte publiée ci-dessous. Certes, les JO ou la Coupe du Monde de Rugby semblent d’incroyables tremplins pour favoriser sa mise en place, mais, bien avant eux, la peur du terrorisme, puis de la Covid-19.
La peur autorise que les populations acceptent de se soumettre à une techno et vidéo surveillance de masse, à la reconnaissance faciale [49], à des actions d’autocontrôle (« attestations de sortie ») ou de délation, qu’elles acceptent la limitation du droit pourtant constitutionnel de manifester et de se réunir, qu’elles ne s’offusquent pas trop que les Polices puissent dorénavant blesser ou mutiler des milliers de personnes, qu’elles ne s’opposent pas à la constitution de fichiers les concernant et autres dispositifs technologiques dont on connait l’inefficacité en termes de sécurité publique, mais qui participent de leur surveillance massive et de leur contrôle généralisé.
Lesley J. Wood, dans son livre Mater la meute, « étudie les vaporisateurs de gaz poivre, les pistolets Taser, les canons à son, les grenades incapacitantes, les gaz lacrymogènes, les balles de caoutchouc, la sanctuarisation des sites des sommets, les clôtures de périmètre, les enclos pour manifestants ou “zones de liberté d’expression”, les tactiques d’encerclement, les arrestations préventives, les infiltrations et les accusations de complot, la gestion des relations publiques et la manipulation médiatique, les unités militarisées, la police de proximité, les technologies de l’information, la focalisation sur le renseignement…
L’immense majorité des techniques étudiées dans ce livre se généralisent en France et en Europe occidentale, tout en se diversifiant et en s’hybridant selon les contextes nationaux, régionaux et locaux. »
— Mathieu Rigouste
« Contenir les dangereuses forces de la démocratie »
En dehors des milieux militants dont se revendiquent Mathieu Rigouste et Lesley J. Wood, de celles et ceux qui, au sein des organisations de la société civile, alertent sur les « dérives totalitaires » et l’instauration d’un « État policier » aujourd’hui déployés y compris en Europe et en France, comme globalement au sein des « démocraties libérales » pourtant présentées comme devant en préserver leurs citoyennes et citoyens, il peut être utile de rappeler que le « néolibéralisme » ou « libéralisme autoritaire [50] », dont s’inspirent aujourd’hui les politiques publiques et les lois françaises, entend en premier lieu lutter contre « le déferlement démocratique [51] », fustigé par Friedrich Hayek, souvent présenté comme l’un de ses maîtres à penser.
Le projet des « néolibéraux [52] », à la suite des « pères fondateurs [53] » — Ludwig von Mises, Friedrich Hayek ou Wilhelm Röpke — n’est pas de « détruire l’État », mais d’inscrire ce dernier dans la structuration d’un ordre national et international suffisamment robuste pour « contenir les dangereuses forces de la démocratie » :
« L’intuition néolibérale des années 1930 [54] était que le marché ne s’occuperait pas de lui-même : ce que Wilhelm Röpke appelait une police du marché était un besoin permanent dans un monde où les gens, que ce soit par des pulsions ataviques ou des motifs humanitaires admirables, continuaient à essayer de faire de la terre un endroit plus égal et plus juste. »
— Quinn Slobodian, « Making Sense of Neoliberalism », Harvard University Press, 15 mars 2018.
En effet la « démocratie » — même encadrée dans une forme strictement représentative et limitée à des droits formels — permet dans la société l’apparition de critiques, de contestations et d’oppositions, de demandes pour « faire de la terre un endroit plus égal et plus juste », mais aussi, depuis quelques années, pour la préserver.
« (…) Slobodian commence en Autriche dans les années 1920. Les empires se dissolvaient et le nationalisme, le socialisme et l’autodétermination démocratique menaçaient la stabilité du système capitaliste mondial. En réponse, les intellectuels autrichiens ont appelé à une nouvelle façon d’organiser le monde. Mais eux et leurs successeurs dans le monde universitaire et gouvernemental, des économistes aussi célèbres que Friedrich Hayek et Ludwig von Mises à des personnalités influentes, mais moins connues comme Wilhelm Röpke et Michael Heilperin, n’ont pas proposé un régime de laissez-faire. Ils ont plutôt utilisé les États et les institutions mondiales — la Société des Nations, la Cour européenne de justice, l’Organisation mondiale du commerce et le droit international des investissements — pour protéger les marchés contre les États souverains, les changements politiques et les demandes démocratiques turbulentes en faveur d’une plus grande égalité et d’une plus grande justice sociale. »
— Présentation du livre de Quinn Slobodian, « Globalists, The End of Empire and the Birth of Neoliberalism », Harvard University Press, 2018.
En France, ce sont « les quartiers et les classes les plus populaires qui subissent en première ligne et quotidiennement les ravages de la militarisation en cours », rappelle Mathieu Rigouste, car ce sont elles qui se mobilisent, de Gilets jaunes en défense de l’hôpital, pour que soient augmentés les revenus des travailleurs et travailleuses en emploi, au chômage ou à la retraite, ou encore qui luttent contre l’exploitation, l’« uberisation », les dominations racistes, sexuelles ou genrées, pour venir en aide aux réfugiés… mais aussi « pour le climat ».
Les classes populaires sont en effet, également, les premières victimes du « carnage » écologique que permet cette « restructuration sécuritaire » nécessaire à la perpétuation du système social et de production nous ayant conduits à l’impasse climatique annoncée par le Giec.
Le projet de loi « Responsabilité pénale et sécurité intérieure » prépare ainsi autant les Jeux olympiques et paralympiques que la répression des prochains mouvements sociaux et environnementaux.
BG
60 organisations contre la loi « Drone 2 »
Sur son site Internet, La Quadrature du Net annonçait, le 19 octobre dernier, jour de l’adoption du Projet de loi relatif à la responsabilité pénale et à la sécurité intérieure par le Sénat :
« Avec 60 organisations, nous publions cette lettre ouverte contre la loi “drone 2”, actuellement débattue par les sénateurs. » Toutes les organisations sont invitées à signer le texte suivant, et toutes et tous à le relayer :
Lettre ouverte
contre la loi « Drone 2 »
Le gouvernement est de retour pour autoriser les systèmes de surveillance qui, d’abord prévus dans la loi Sécurité globale, avaient été censurés par le Conseil constitutionnel en mai 2021. Cette nouvelle loi « relative à la responsabilité pénale et à la sécurité intérieure », a déjà été adoptée par l’Assemblée nationale le 23 septembre dernier. Le Sénat l’examinera le 18 octobre. Il doit la rejeter : contrairement à ce que prétend le gouvernement, ces systèmes de surveillance nuiront tant à notre liberté qu’à notre sécurité, dès lors qu’ils organisent l’escalade technologique des violences policières.
Les articles 8 et 9 autoriseront la surveillance par drone, hélicoptère et voiture. Depuis plus d’un an, la police déploie illégalement des drones pour nous surveiller, malgré deux interdictions du Conseil d’État, une sanction de la CNIL et une censure du Conseil constitutionnel. Les drones sont inutiles aux actions de médiation, d’apaisement et de dialogue avec la population. Ce sont des outils démultipliant les capacités de surveillance et de contrôle, qui facilitent avant tout les interventions violentes de la police, notamment en manifestation afin de dissuader les militant·es d’exercer leurs libertés de réunion et d’expression politique.
L’article 7 autorisera la vidéosurveillance des cellules de garde-à-vue. Le gouvernement prétend agir pour « diminuer les risques de suicide, d’automutilation, d’agression », comme s’il se souciait soudainement du bien-être des personnes qu’il réprime. Plutôt que de protéger les personnes arrêtées, il s’agira de renforcer les pressions et violences psychologiques causées contre elles par l’enfermement et une surveillance de chaque instant sans aucune garantie ni limitation sérieuse.
L’article 16 autorisera la police à recourir à la violence physique pour obtenir les empreintes digitales et la photographie des personnes suspectées d’avoir commis une infraction punissable d’au moins trois ans de prison. Cette violence pourra s’exercer contre des enfants de 13 ans, pour peu que la police les suspecte d’avoir commis une infraction punissable de cinq ans de prison. Les empreintes et photos ainsi obtenues pourront être recoupées avec les fichiers de police existants, notamment par reconnaissance faciale.
Cette loi organise un monde où les développements technologiques renforcent et justifient les violences que la police peut exercer contre la population. Cette escalade de la violence ne repose sur aucun besoin objectif qui serait soutenu par des études ou des chiffres concrets.
Elle ne semble viser qu’au développement d’un État policier qui, une fois en place, ne s’encombrera pas des limites que le droit aurait tenté de lui poser (les quatre interdictions rendue l’an dernier n’ont pas empêché la police de déployer des drones, encore aujourd’hui [55]).
Pour ces raisons, l’ensemble de ces mesures doivent être rejetées.
Ces dispositifs de surveillance ne sont pas les seuls dans cette loi susceptible de poser bien d’autres problèmes, pour aller plus loin :
— analyse de l’ensemble de la loi par le Syndicat de la Magistrature
— analyse de différents dispositifs de la loi par le Syndicat des Avocats de France
— tract et affiche proposées par La Quadrature du Net
Projet de loi
relatif à la responsabilité pénale
et à la sécurité intérieure
La procédure législative en cours :
— Le Gouvernement engage une « procédure accélérée [56] » sur son projet [57] de loi le 19 juillet 2021 et le Projet de loi relatif à la responsabilité pénale et à la sécurité intérieure n° 4387 est déposé à l’Assemblée nationale le 20 juillet 2021 ;
— Le Projet de loi, modifié (396 amendements), est adopté par l’Assemblée nationale le mardi 20 juillet 2021 ;
— Le Projet de loi,modifié par l’Assemblée nationale, relatif à la responsabilité pénale et à la sécurité intérieure n° 849 est déposé le jeudi 23 septembre 2021 au Sénat ;
— Le Projet de loi, modifié (93 amendements), est adopté par le Sénat le 19 octobre 2021 (T. A. N° 009) ;
— Le Projet de loi, modifié par le Sénat, relatif à la responsabilité pénale et à la sécurité intérieure, n° 4596est déposé en commission mixte paritaire [58] le mardi 21 octobre 2021.
— Texte de la commission, n° 4703-A0(vendredi 19 novembre 2021)
— Rapport de la commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi relatif à la responsabilité pénale et à la sécurité intérieure, n° 4703 (vendredi 26 novembre 2021)
— (…)
Plus d’informations :
— https://technopolice.fr/actualites/
— Rapport d’évaluation du GIEC (Résumé à l’intention des décideurs)
— Drones d’observation et drones armés : un enjeu de souveraineté, Rapport d’information n° 559 (2016-2017) de MM. Cédric PERRIN, Gilbert ROGER, Jean-Marie BOCKEL et Raymond VALL, fait au nom de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, déposé le 23 mai 2017 — Synthèse du rapport (184 Koctets) https://www.senat.fr/rap/r16-559/r16-559.html
— Damien Licata Caruso, « Dans l’antre des pilotes français de drones Reaper, qui sécurisent le défilé du 14 Juillet », Le Parisien, 14 juillet 2021. https://www.leparisien.fr/high-tech/dans-lantre-des-pilotes-francais-de-drones-reaper-14-07-2021-4GRYCRMYRBH7JDXQV4JWZBPJ3M.php (Article réservé aux abonnés)
— Elina Lemaire, « La procédure accélérée ou la regrettable normalisation d’une procédure dérogatoire », Jus Politicum, le blog de la Revue de droit politique, 5 juillet 2017.
— Observations du Syndicat de la magistrature sur le projet de loi relatif à la responsabilité pénale et à la sécurité intérieure :
Volet n° 1 : responsabilité pénale (articles 1 à 3)
Volet n° 2 : dispositions pénales et procédure pénale (Articles 4, 5, 12, 13, 14, 15, 16)
Volet n° 3 : dispositions relatives à la surveillance (Articles 7, 8, 9)
— « Les mémos de la terreur », Disclose, 21 novembre 2021.
— « JO 2024 : porte d’entrée pour une privatisation de la sécurité en France ? », RT France, 19 novembre 2021
— Irresponsabilité pénale : députés et sénateurs s’accordent sur le texte, Public Sénat, 19 novembre 2021
Livres :
— Lesley J. Wood, « Mater la meute La militarisation de la gestion policière des manifestations », Lux, 2015. Traduit de l’anglais par Éric Dupont. Suivi de « Le marché global de la violence » (pdf) par Mathieu Rigouste.
— Mathieu Rigouste, « Les Marchands de peur. La bande à Bauer et l’idéologie sécuritaire », Libertalia, 2011, 2013. Extrait (PDF). Postface de la seconde édition (PDF).
— Grégoire Chamayou, « La société ingouvernable. Une généalogie du libéralisme autoritaire », La Fabrique, 2018.
— Bernard E. Harcourt, « La Société d’exposition. Désir et désobéissance à l’ère numérique », Seuil, 2020.
— Quinn Slobodian, « Globalists, The End of Empire and the Birth of Neoliberalism », Harvard University Press, 2018
Sur Guerre Moderne :
— « L’invasion du Capitole ou la contre-révolution américaine », 25 avril 2021
— « Standing Rock, une “bouleversante contre-souveraineté” », 2 juin 2021
— « Sécuritisation globale », 12 mai 2021
— « Le Marché français de la production globale de sécurité », 23 mai 2021
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Illustration principale :
SC pour Guerre Moderne, à partir d’une capture d’écran du site du GICAT.
Notes:
[1] Renommée depuis quelques années en « vidéoprotection » par ses promoteurs.
[2] Pour reprendre le titre de l’intervention du Général de gendarmerie Bertrand Soubelet, « L’importance du continuum à la française », lors des États généraux de la sécurité événementielle, organisés par l’Organisation des professionnels de la sécurité événementielle (membre de la FFSP), le 23 septembre 2021.
[3] Marchés très concurrentiels au niveau mondial, à l’heure de la « globalisation des marchés de la surveillance, de l’encadrement et de la répression » évoquée par la « cartographie de l’ordre sécuritaire » initiée par Mathieu Rigouste dans « Le marché global de la violence », post-face de « Mater la meute » de Lesley J. Wood (Lux, 2015). Sauf mention contraire, les citations de Mathieu Rigouste sont extraites de cette post-face.
[4] « Le Commandement des opérations spéciales américain prévoit de procéder l’année prochaine à des essais cliniques d’une pilule développée par Metro International Biotech LLC qui pourrait réduire certains effets du vieillissement et des blessures, dans le cadre d’une initiative du Pentagone visant à “améliorer les performances humaines”. » — « Rapport de veille technologique Défense-Sécurité », Generate, septembre 2021.
[5] « Des chercheurs coréens ont créé un robot enveloppé d’une membrane qui change de couleur en fonction de son environnement. (…) Cette technologie offrirait une très belle opportunité dans le domaine du camouflage et de la déception (…) ». — « Rapport de veille technologique Défense-Sécurité », Generate, septembre 2021
[6] Le « Handheld acoustic hailing and disruption » est « un dispositif particulier a fait l’objet d’un dépôt de brevet aux États-Unis il y a deux ans. Ce dernier est tout simplement capable de forcer au silence une personne (…) Certains gouvernements pourraient à terme utiliser ce type de dispositif afin de museler certains agitateurs publics. » — « Rapport de veille technologique Défense-Sécurité », Generate, septembre 2021
[7] « Le Pentagone, en utilisant une combinaison d’IA et de cloud computing, pourrait prédire plus ou moins précisément les événements à venir quelques jours à l’avance. (…) La solution basée sur le Machine Learning mise sur une IA capable d’identifier des signaux faibles. » — « Rapport de veille technologique Défense-Sécurité », Generate, septembre 2021. La « psycho-histoire » du professeur Seldon enfin accessible ?
[8] Si, en France, la « lutte contre le terrorisme » a permis d’inscrire dans le droit commun des mesures d’exception jusque-là réservées à l’État d’urgence (notamment au travers de la Loi SILT, en 2017), notons que c’est le même motif qui est avancé pour permettre l’exportation d’armements y compris vers des dictatures, comme le documente Disclose : « La diplomatie des armes et son alibi, la lutte antiterroriste, écrase tout débat, même lors des réunions “secret-défense” de la Commission interministérielle pour l’étude des exportations de matériels de guerre (CIEEMG) ». Malgré un avis défavorable rendu par le ministère des affaires étrangères concernant l’exportation de blindés vers l’Egypte du maréchal Abdel Fattah Al-Sissi, qui pourraient « être utilisés pour des actions de répression interne », la CIEEMG rendait des avis favorables à Arquus, Nexter et autres industriels français. « Ce soutien à l’un des régimes les plus répressifs au monde est né dans les couloirs de l’Etat-major des armées, au lendemain du coup d’Etat d’Al-Sissi, en juillet 2013. Une “diplomatie des armes” qui, sous le prétexte de la lutte antiterroriste, a conduit l’appareil d’Etat à se mettre au service de la dictature, comme le révèlent des dizaines de documents classés « confidentiel-défense » obtenus par Disclose. » — https://egypt-papers.disclose.ngo/fr/chapter/france-egypte-vente-armes
[9] On pourrait aussi citer les salons organisés par ou au profit de l’industrie française (Milipol, Civipol), ou encore le Groupement professionnel des métiers de la sécurité électronique (GPMSE), sans oublier le rôle d’organisations internationales, comme l’Association internationale des chefs de police (AICP) ou encore le Service de coopération technique international de police (SCTIP) dont Lesley J. Wood aura montré l’importance dans la diffusion du modèle idéologique promu par le « capitalisme sécuritaire », mais aussi de ses pratiques, doctrines et de ses matériels. — Cf. Lesley J. Wood, « Mater la meute La militarisation de la gestion policière des manifestations », Lux, 2015.
[10] « Convention de partenariat », aux termes de laquelle le GICAT devient membre associé de la FFSP, signé par Marc Darmon, Président du GICAT et Directeur général adjoint de Thales, et Claude Tarlet, Président de la FFSP.
[11] Diplômé de la 14ème promotion de l’Institut National des Hautes Études de Sécurité Intérieure, Claude Tarlet est présenté comme ayant participé à l’élaboration du premier Livre Blanc de la Sécurité privée, en 1992, et comme étant l’organisateur du 1er Sommet Européen de la Sécurité Privée, à Paris en 2008. Il est l’actuel président de la FFSP, depuis 2013 le Président de l’ANAPS, l’Alliance Nationale des Activités Privées de Sécurité après avoir été Président de l’Union des entreprises de sécurité privée (USP) et Président du Syndicat National des Entreprises de Sécurité (SNES) — ces deux derniers ont fusionné en 2003 —, également 1er Vice-président de la Confédération européenne des services de sécurité (CoESS). Il est membre du Conseil d’Orientation de l’Observatoire National de la Délinquance, membre du Conseil Permanent du MEDEF et de la CGPME, membre de Commission Nationale des Services auprès du Ministre de l’Économie et des Finances, membre du Collège National et de la Commission Nationale d’Agrément et de Contrôle du CNAPS.
Sur les acteurs et idéologues de la « sécurocratie » on lira Mathieu Rigouste, « Les Marchands de peur. La bande à Bauer et l’idéologie sécuritaire », Libertalia, 2011, 2013. Extrait (PDF). Postface de la seconde édition (PDF).
[12] JO 2024 : la frénésie sécuritaire, Technopolice, 13 ocobre 2021.
[13] « La Délégation interministérielle aux jeux olympiques et paralympiques (DIJOP) est rattachée au Premier ministre et accompagne la préparation des jeux olympiques et paralympiques de Paris 2024 en coordonnant les actions des différents ministères » et a pour mission « d’assurer la liaison avec l’ensemble des partenaires ». — https://www.gouvernement.fr/delegation-jeux-olympiques-paralympiques-paris-2024
[14] Tous ont pris part aux « États généraux de la sécurité événementielle en France » organisés par l’OPSE, l’Organisation des professionnels de la sécurité événementielle (membre de la FFSP), à Biarritz, le 23 septembre 2021. Olivier Bourde, « Directeur de la Sécurité de France 2023 du dispositif de Sécurité de la Coupe du Monde de Rugby », Thomas Collomb, « Directeur Délégué Sécurité Paris 2024 sur les dispositifs de Sécurité pour les Jeux olympiques et paralympiques » et Christophe Delaye, « Conseiller Sécurité de la Délégation interministérielle à l’Organisation des Jeux olympiques et paralympiques sur le rôle de l’Etat à l’organisation des grands évènement à venir » participaient à la première partie du programme de l’après-midi, « L’organisation des grands événements, une coproduction de sécurité publique privée intégrée ».
[15] Selon l’industrie, ce n’est pas moins de 26 000 agents de sécurité qui devront être recrutés pour l’organisation des Jeux olympiques et paralympiques en France.
[16] Comme, en 2015, la « Loi relative au renseignement » qui aura « légalisé » des pratiques déjà mises en œuvre par les services de sécurité et de renseignement (analyse des « fadettes », « boites noires », méta-données de connexion…). Changement de paradigme permis par l’état de la technique et de la technologie, on passe alors de la « surveillance ciblée » à la surveillance totale et généralisée. La Loi renseignement de 2021 vient compléter et prolonger ces dispositifs où « l’ensemble des communications sont déroutées vers des services de renseignement » comme le rappelle La Quadrature du net, « Master Class : résister à la techno surveillance », Blast, 4 décembre 2021.
[17] Jean-Baptiste de Gubernatis et Mathilde Martin rappelle que « le processus dans lequel s’inscrit la loi relative au renseignement [de 2015, Ndlr] a débuté en 2009, avec la création du coordinateur national du renseignement, ainsi que du nouveau Conseil National du Renseignement, où le coordinateur siège aux côtés du Premier ministre et des ministres concernés et directeurs des services de renseignement, sous la présidence du Président de la République ». Ils ajoutent que « si la loi du 24 juillet 2015 relative au renseignement a pu être présentée comme le symbole de la réaction gouvernementale aux attentats du 7 janvier 2015 ayant visé Charlie Hebdo et un magasin Hyper cacher, il faut toutefois préciser qu’en réalité, elle était en préparation bien avant que ne surviennent ces événements dramatiques. Ce texte est en effet le fruit des travaux présentés à l’Assemblée nationale le 14 mai 2013 par Jean-Jacques Urvoas et Patrice Verchère ».
[18] Loi n° 2015-912 du 24 juillet 2015 relative au renseignement. https://www.legifrance.gouv.fr/loda/id/JORFTEXT000030931899/
« La loi du 24 juillet 2015 crée un livre VIII au sein du code de la sécurité intérieur (CSI), intitulé “Du renseignement”, qui dévoile neufs titres tendant essentiellement à étendre le champ des finalités et des techniques du renseignement, mais également à instaurer de nouveaux mécanismes de contrôle » analysent Jean-Baptiste de Gubernatis et Mathilde Martin, « La loi relative au renseignement : la victoire de la peur sur l’idéal de protection des droits et libertés ? », Les Cahiers Portalis, vol. 3, no. 1, 2016, pp. 75-85.
https://www.cairn.info/revue-les-cahiers-portalis-2016-1-page-75.htm
[19] Loi n° 2021-998 du 30 juillet 2021 relative à la prévention d’actes de terrorisme et au renseignement. https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000043876100
[20] la Loi d’orientation et de programmation pour la sécurité intérieure (LOPPSI, n°2002-1094 du 29 août 2002). Et avant elle, la Loi d’orientation et de programmation relative à la sécurité (n°1995-73 du 21 janvier 1995).
[21] Loi d’orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure (LOPPSI 2, n°2011-267 du 14 mars 2011).
[22] Le Livre blanc de la sécurité intérieure est présenté comme « prenant en compte les enjeux de la sécurité intérieure du 21ième siècle » : « Il s’appuie sur une concertation large et ouverte : experts de la sécurité, élus, préfets, agents de terrain, chercheurs et universitaires, acteurs de la sécurité privée sans oublier les citoyens eux-mêmes avec la conférence organisée en janvier 2020. Le document s’inscrit dans l’esprit et la continuité des réformes engagées depuis 2017. Sa méthode permet une approche globale des enjeux de sécurité intérieure. Il s’agit donc d’un document de prospective qui émet près de 200 propositions. » https://www.interieur.gouv.fr/actualites/actu-du-ministere/livre-blanc-de-securite-interieure
[23] Citation introduisant l’article de Jean-Baptiste de Gubernatis et Mathilde Martin, déjà cité.
[24] Rappelons que, selon les juristes de la Quadrature du Net, « le droit à la vie privée, à la sûreté ou à la liberté d’expression » aura été « relégué à une pure déclaration de principe dénuée d’effectivité » en avril 2021 par une décision du Conseil d’État — la plus haute juridiction administrative française — permettant au gouvernement de maintenir sa surveillance de masse : « Le Conseil d’État autorise la conservation généralisée des données de connexion en dehors des situations exceptionnelles d’état d’urgence sécuritaire, contrairement à ce qu’exigeait la Cour de justice de l’UE dans sa décision du 6 octobre 2020 contre la France ». — La Quadrature du Net, « Le Conseil d’État valide durablement la surveillance de masse », Mediapart (Blog), 21 avril 2021.
[25] Instruments permettant, comme l’avait imaginé Orwell, « la réception et la transmission simultanées », les smartphones sont au cœur de ce nouveau totalitarisme numérique auquel consentent les populations. On lira sur la question du « consentement » à la surveillance le livre de Bernard E. Harcourt, « La Société d’exposition. Désir et désobéissance à l’ère numérique », Seuil, 2020.
[26] On peut se demander, avec Pablo Jensen (« Deep earnings, Le néolibéralisme au coeur des réseaux de neurones », C&F éditions, 2021) « si l’inspirateur de l’intelligence artificielle n’était autre que le père du néolibéralisme, Friedrich von Hayek ». On peut lire dans la présentation de Deep earnings : « Quelle ne fut pas la surprise de Pablo Jensen en découvrant que Frank Rosenblatt, qui invente en 1958 les réseaux de neurones, fait de l’économiste Friedrich von Hayek la source majeure de son inspiration. Ce dernier est surtout connu comme l’idéologue du néolibéralisme. »
[27] Comme la loi « renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme » (SILT), votée en 2017, qui transposait dans le droit commun les principaux pouvoirs accordés au gouvernement par l’état d’urgence instauré après les attentats. On ne pouvait alors imaginer qu’un état d’urgence « sanitaire », cette fois, allait aussi donner lieu au prolongement de l’inscription de principes jusque-là dérogatoires dans le droit communs. La récente « Loi relative à la prévention d’actes de terrorisme et au renseignement » promulguée le 30 juillet 2021 est présentée comme pérennisant et adaptant « certaines mesures de lutte antiterroriste expérimentées depuis la loi dite SILT de 2017 (fermeture des lieux de culte, mesures de surveillance…) » et devant créer « une mesure de sûreté pour les terroristes sortants de prison » en renforcement de « la loi sur le renseignement de 2015 (recours accru aux algorithmes…) ».
[28] Lire les brèves « Le complexe sécurito-industriel » et « Quartiers populaires : fabrique du désordre et guerre psychologique » sur Guerre Moderne.
Alors que se déploie sur le sol national une guerre « contre-insurrectionnelle » de « basse intensité permanente » ciblant les populations à « pacifier » dans les quartiers populaires et à « mater » lors des mobilisations sociales, on voudrait circonscrire la réflexion au traditionnel débat « pour ou contre la police de proximité »…
Il en est de même de la création d’une « réserve opérationnelle de la police nationale » inscrite au projet de loi, peu questionnée. « Nous allons doter la police nationale d’une réserve opérationnelle comme celle de la gendarmerie, affirme le ministre de l’Intérieur. On y compte actuellement près de 5000 réservistes représentés à 90% par des retraités. Je veux la rajeunir et atteindre le chiffre de 30000, comme dans la gendarmerie. » — Gérald Darmanin, BFMTV.com, 25 janvier 2021.
[29] La liste des derniers « représentants de l’ordre », pour mémoire : Pasqua, Debré, Chevènement, Vaillant, Sarkozy, de Villepin, Baroin, Alliot-Marie, Hortefeux, Guéant, Valls, Cazeneuve, Leroux, Felk, Collomb, Castaner, Darmanin. Jacques Chirac a été un éphémère Ministre de l’Intérieur (4 mois en 1974). Christian Fouchet (67-68) et Raymond Marcellin (68-74), puis Charles Pasqua (86-88) et Nicolas Sarkozy (2002-2004 et 2005-2007) à « droite », ou Gaston Deferre (81-84) et Pierre Joxe (84-86), puis Jean-Pierre Chevènement (97-2000) et Manuel Valls (2012-2014) à « gauche », ont « incarné » tour à tour la fonction. Christophe Castaner restera celui des « Gilets jaunes », Michèles Alliot-Marie (2007-2009), la seule femme, se sera entre autre illustrée pour sa « proposition de services » à Ben Ali, pour museler le mouvement tunisien de contestation politique, économique et sociale qu’on aura qualifié de « Printemps arabes ».
[30] « (…) ce sont les dirigeants d’agences policières, militaires, de sécurité privée, les dirigeants politiques et des grands médias, tout ce qui vit des marchés du contrôle, qui viennent, d’eux-mêmes, sous la protection de l’État, « s’informer » auprès de ces industriels. » — Mathieu Rigouste.
[31] La Quadrature du net rappelle qu’en mars 2019 la gendarmerie annonçait avoir effectué pas moins de 717 heures de vol au dessus des manifestations, « pour un coût total de 1 million d’euros. » « Depuis au moins 2010, la gendarmerie utilise un dispositif nommé « Wescam MX-15 » – qui n’est même plus qualifié de “simple caméra”, mais de “boule optronique”. C’est cet objet, avec sa caméra thermique et son zoom surpuissant, qui permet à la police de filmer, traquer, identifier (de jour comme de nuit) et de retransmettre en direct le flux vidéo, avec une “qualité d’image comparable à celle que le public connaît pour le Tour de France” ». — La police en hélicoptère, ou la surveillance militaire des citoyens, La Quadrature du net, 5 mars 2021
[32] Les « volontaires de la réserve opérationnelle » de la police que se propose de créer le projet de Loi relatif à la responsabilité pénale et à la sécurité intérieure : « Art. L. 411-7. – La réserve opérationnelle de la police nationale est destinée à des missions de renfort temporaire des forces de sécurité intérieure et à des missions de solidarité, en France et à l’étranger, à l’exception des missions de maintien et de rétablissement de l’ordre public ». (Commission mixte paritaire)
[33] Ainsi, comme le souligne Bernard E. Harcourt, faut-il se féliciter que les « assaillants du Capitol », aux États-Unis, aient pu être retrouvés en quelques jours grâce à leur utilisation des réseaux sociaux ? « Comme chacun d’entre nous désormais, ceux qui ont saccagé le Capitole ont laissé des empreintes digitales partout où ils sont allés. Des lecteurs automatiques d’immatriculation et des caméras les ont enregistrées conduisant le long de l’axe nord-est vers Washington DC. Google a détecté leurs téléphones portables par satellites GPS, signaux Bluetooth et réseaux WiFi. Facebook a enregistré chacune de leurs diffusions en direct ; Twitter, Parler et TikTok ont capturé chacune de leurs vidéos. Les opérateurs AT&T, Verizon et T-Mobile ont enregistré leurs localisations GPS et métadonnées. Et, par des mandats de recherche géolocalisée, le gouvernement a saisi toutes ces données. En utilisant des technologies de reconnaissance faciale, il a trouvé ces gens sur leurs comptes Yelp et autres profils publics. Apple a partagé ses informations de comptes iCloud, révélant adresses privées et identifiants. La technologie Cellebrite a déverrouillé et copié les contenus de leurs téléphones portables. Ainsi, en quelques semaines, plus de 400 hommes et femmes ont été arrêtés et inculpés. » — Bernard E. Harcourt, « L’invasion du Capitole ou la contre-révolution américaine », Guerre Moderne, 25 avril 2021.
[34] Ce qui veut en d’autres termes dire « destruction » de l’École et de l’Hôpital publics… On pense notamment aux suppressions de lits d’hôpitaux par le gouvernement, en pleine crise sanitaire.
Lire Rachel Knaebel, « Encore 5700 lits d’hospitalisation en moins en 2020, malgré le Covid », Basta, 30 septembre 2021.
[35] À la fin de la guerre froide, le « complexe militaro-industriel » entame une mue, à la recherche de nouveaux marchés, alors que la « course aux armements » marque une pause. La « restructuration sécuritaire » du capitalisme évoquée par Mathieu Rigouste s’inscrit néanmoins dans un mouvement plus vaste de « restructuration néolibérale » entamée dès les années 70 et analysée, entre autres, par Grégoire Chamayou.
[36] L’État est même jugé nécessaire pour protéger le système capitaliste — y compris de ses tendances « autodestructrices ». « Moins d’imposition du capital », « moins de contraintes réglementaires » serait plus juste.
[37] Mise au service de l’« impérium » au profit du « dominium » : dans la présentation de son livre, « Globalists. The End of Empire and the Birth of Neoliberalism », Quinn Slobodian rappelle que « le capitalisme mondial a produit un monde dual — un monde d’imperium (celui des États) et un monde du dominium (celui de la propriété). Le projet de globalisation néolibérale consistant à maintenir sans fin cette division. » — Quinn Slobodian, « Making Sense of Neoliberalism », Harvard University Press, 15 mars 2018. De fait, la « démocratie » s’arrête à la porte de l’entreprise et du « dominium » : si elle peut parfois, et à des degrés divers, apparaître dans l’organisation politique de l’État, le monde du travail est toujours, lui, régit par une stricte organisation hiérarchique et de subordination, malgré la description que peut parfois en faire la novlangue managériale.
[38] Sur ces évolutions, on lira notamment l’analyse de Grégoire Chamayou, « La société ingouvernable. Une généalogie du libéralisme autoritaire » (La Fabrique, 2018).
[39] On oppose à tort « néolibéralisme » et « nationalisme » : « (…) divers courants du néolibéralisme nés au début des années 1990 se sont appuyés sur une matrice nationaliste pour revendiquer davantage de libéralisation économique contre des organisations transnationales jugées trop protectrices et régulatrices. Plutôt que de tomber dans une fausse opposition entre globalisme et nationalisme, il serait donc préférable de reconnaître que le jeu économico-politique mondial est de plus en plus structuré autour d’un national-néolibéralisme. » — Pierre Sauvêtre, « National-néolibéralisme. De quoi le “populisme” est le nom », Sens public, 25 juin 2020.
[40] « Cet ensemble de pratiques gouvernementales qui composent la “gouvernementalité libérale” qui se développent à partir de la fin du XVIIe et au XVIIIe répondent aux problèmes de gestion et de police posés par une population en croissance, dont les échanges se sont multipliées, les regroupements densifiés, les fonctions différenciées. On ne peut gouverner une telle société par la loi venue du haut, selon un principe vertical entouré d’une aura sacrée. La gestion de la population suppose un nouvel art de gouvernement. »
— Christian Laval, « Ce que Foucault a appris de Bentham », Revue d’études benthamiennes, 8 | 2011. (lire notamment le chapitre « Le panoptisme comme technologie libérale »).
[41] Aux États-Unis, Bernard E. Harcourt présente cette « guerre moderne » menée contre les Américains dans plusieurs articles publiés sur ce site : « Standing Rock, une “bouleversante contre-souveraineté” » (2 juin 2021), « L’invasion du Capitole ou la contre-révolution américaine » (25 avril 2021). La loi Renseignement de 2015 est souvent décrite comme un « Patriot Act » à la française et elle s’inscrit en effet dans ce nouveau paradigme né des avancées technologiques permettant une surveillance de masse des populations.
[42] Mathieu Rigouste rappelle la « mécanique fondamentale du système sécuritaire » : « les dispositifs de sécurisation ne “réduisent” pas une “menace” — en réalité construite et désignée par les médias des classes dominantes —, mais ils contribuent à créer des “désordres gérables”, c’est-à-dire les conditions de l’extension du contrôle et des marchés du contrôle ».
[43] Il ne faudrait pas oublier la peur du chômage et du déclassement, l’une des plus efficaces pour l’exercice du contrôle social et qu’entraînent l’insécurisation économique et la destruction des droits sociaux et autres entraves au marché, au fondement du « libéralisme sécuritaire ».
[44] En 2020, en une année donc, 2780 personnes sont décédées en France des suites d’un accident de la route. Plus de 700 personnes par an meurent en France d’un accidents du travail. Selon Le Figaro, entre 1979 et 2021, on compte 330 victimes d’actes terroristes en France.
[45] Peur entretenue autour de « nouvelles catégories » d’acteurs présentés, à l’extrême droite, à droite (LR, LREM) et par une partie de la « gauche » comme les nouveaux « ennemis intérieurs » : les « islamo-gauchistes » et autres « islamo-compatibles », les « écologistes radicaux » ou encore les représentants des « mouvances » « woke », « intersectionnelle » et « décoloniale ». Lire sur Guerre Moderne : « “Islamo-gauchisme” : l’offensive réussie de la “Nouvelle Alt-droite » française” », 30 juin 2021.
[46] La Cour des Comptes, dans son rapport d’octobre 2020, plaide pour une appréciation objective de l’efficacité des dispositifs de vidéosurveillance, rappelant qu’il n’y a « aucune corrélation entre vidéosurveillance et niveau de délinquance », mais signalant une « absence de connaissance des coûts réels » de ces dispositifs, et l’absence d’évaluation de leurs résultats. — « La vidéosurveillance sous l’œil de la cour des comptes », LDH Nice, 28 octobre 2020. Extrait (PDF) des 15 pages du Rapport consacrées à la vidéosurveillance et autres outils de surveillance (drones, reconnaissance faciale, etc) utilisés par les polices municipales.
[47] La finalité, ou, rappelle notamment Mathieu Rigouste, le résultat attendu par la généralisation de ces dispositifs, n’est pas « la sécurité des populations », mais l’extension de la « guerre de basse intensité » que leur livre l’appareil d’État dans sa reconfiguration « libérale-sécuritaire ».
[48] À lire sur Guerre Moderne : « Sécuritisation globale », 12 mai 2021 et « Le Marché français de la production globale de sécurité », 23 mai 2021.
[49] Massive, puisqu’aujourd’hui utilisée « plus de 1000 fois par jour », pour ce qui concerne la Police française, selon La Quadrature du Net.
[50] On évoque parfois une « régression démocratique » en Europe (Pologne, Hongrie), certains dirigeants, comme Viktor Orbán, reprenant volontiers à leur compte le concept d’« illibéralisme » dont Wikipedia rappelle que le terme a été introduit par Fareed Rafiq Zakaria. Le journaliste américain définit la « démocratie illibérale » comme « une démocratie sans libéralisme constitutionnel qui produit des régimes centralisés, l’érosion de la liberté, des compétitions ethniques, des conflits et la guerre ». Pour le professeur de Sciences politiques Matthijs Bogaards, il s’agit d’« une situation démocratique où, néanmoins, l’indépendance de la justice est malmenée, et les citoyens ne bénéficient pas d’un traitement égalitaire face à la loi, ni de protections suffisantes face à l’État ou à des acteurs privés. » Si la définition proposée par Zakaria semble décrire les États « en voie de démocratisation », la situation décrite par Bogaards semble bien définir les États convertis au « libéralisme autoritaire ».
[51] Rappelons que le RIC, « référendum d’initiative populaire », parmi d’autres revendications pour l’extension de la démocratie (contrôle et même « révocation » des élus, accès à l’ordre du jour législatif) est au cœur des dernières mobilisations en France — notamment du mouvement des « Gilets jaunes ».
[52] Quinn Slobodian, « Globalists, The End of Empire and the Birth of Neoliberalism », Harvard University Press, 2018 (en anglais). Adam Tooze, « Neoliberalism’s World Order », Dissent, Summer 2018 (en anglais).
[53] Denord François, « Le prophète, le pèlerin et le missionnaire. La circulation internationale du néo-libéralisme et ses acteurs », Actes de la recherche en sciences sociales, 2002/5 (n° 145), p. 9-20.
[54] « L’émergence du néo-libéralisme est indissociable de la crise des années 1930 et des désordres économiques, politiques et sociaux qu’elle engendre. Le néo-libéralisme est un des multiples “néo” (néo-capitalisme, néo-socialisme, néo-corporatisme, etc.) qui fleurissent dans un contexte où l’économie libérale semble avoir fait faillite. Apparu à la fin des années 1920, le néo-libéralisme a fait l’objet d’un premier essai de définition systématique lors du Colloque Walter Lippmann, réunion internationale de patrons, universitaires et hauts fonctionnaires qui s’est tenue à Paris du 26 au 30 août 1938. Le colloque a pour prétexte la traduction en français d’un ouvrage à succès de Walter Lippmann, célèbre éditorialiste du New York Herald Tribune : La Cité libre (The Good Society). » — Denord François, « Le prophète, le pèlerin et le missionnaire. La circulation internationale du néo-libéralisme et ses acteurs », Actes de la recherche en sciences sociales, 2002/5 (n° 145), p. 9-20.
Lippman « fit partie, avec Edward Bernays, l’un des fondateurs de l’industrie des relations publiques, de la machine de propagande de Woodrow Wilson ». Dès 1922, dans Public Opinion, « il développe l’idée que nous n’agissons pas en fonction “d’un savoir direct et certain, mais à travers des images que nous créons nous-mêmes ou qu’on nous donne à voir” ». Le « spectacle » avant Debord…
Lippman se désole dans The Good Society qu’« une fois de plus les hommes sont prêts à lutter pour le pouvoir suprême, car ils se sont remis à croire que l’exercice du pouvoir peut améliorer leur sort. »
[55] Didier Hassoux, « Le préfet de police viole l’espace aérien », Le Canard Enchaîné, 11 août 2021.
[56] La procédure accélérée, anciennement procédure d’urgence, qui est prévue par l’article 45, alinéa 2, de la Constitution du 4 octobre 1958, prévoit lorsqu’elle est saisie par le gouvernement une seule lecture par les deux assemblées (et non deux), un délai minimal de quinze jours entre le dépôt du texte et sa discussion en séance (normalement six semaines, ou quatre pour les textes transmis par l’autre assemblée). Destinée à être une procédure exceptionnelle, elle se banalise, consacrant l’affaiblissement du Parlement. Emmanuel Macron avait ainsi, dans son programme de 2017, annoncé en faire « la procédure par défaut d’examen des textes législatifs afin d’accélérer le travail parlementaire ».
[57] contrairement à la « proposition de loi », qui émane du Parlement.
[58] « La Commission mixte paritaire est chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion » à partir des deux textes du projet de loi relatif à la responsabilité pénale et à la sécurité intérieure adoptés par l’Assemblée et le Sénat.
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