La Corée du Sud et la tentation de la bombe

par | 1 Nov 2021 | Analyses

COURSE AUX ARMEMENTS

Le test réussi d’un tir de missile mer-sol balistique stratégique (MSBS), à partir d’un sous-marin classique (conventionnel), le Dosan Ahn Chang-ho, à propulsion anaérobie, témoigne d’une accélération de la course aux armements dans la péninsule coréenne. Bien sûr. Il témoigne aussi et surtout de la volonté des autorités sud-coréennes de se démarquer. Après tout, il s’agit d’un test assez unique en son genre pour un État qui ne dispose pas d’arsenal nucléaire. En tout cas, pas encore. Mais ce serait un candidat sérieux : le pays est classé au sixième rang (et ….en devançant la France) en termes de puissance militaire mondiale, selon l’indice annuel du Global Firepower (GFP).

Dans le cadre de cet exploit, les autorités sont en train de réviser leur posture antinucléaire ; de hausser le ton face aux États-Unis, ce que les dirigeants à Berlin ont failli oser vis-à-vis de l’Administration Trump. Et pour cause : avec ce missile mer-sol, ce MSBS, la Corée du Sud a rejoint le club très restreint d’États qui maîtrisent ces technologies : les États-Unis, la Russie, la Chine, la France, l’Inde, et le Royaume-Uni.

Les dirigeants sud-coréens profitent du timing du scandale des sous-marins australiens qui a donné naissance au triumvirat stratégique anglo-saxon dans l’Indo-Pacifique. Le test de missile est intervenu au lendemain de discussions entre Séoul et Washington sur une possible coopération dans le domaine de la propulsion nucléaire de sous-marins. On peut donc en déduire que les conditions dans lesquelles pourra/rait se gérer la livraison d’uranium enrichi ont fait partie des tractations entre Séoul et Washington. L’intérêt des Sud-Coréens, c’est que l’uranium – que Washington n’a plus l’intention de leur interdire – ne soit pas scruté et inspecté par les fins limiers de l’Agence Internationale de l’Énergie atomique (AIEA) à Vienne.

La fin d’un tabou

Les démarches sur le front international vont de pair avec les tractations sur le front intérieur. L’armement nucléaire n’est plus tabou, et ce depuis 2006, année du premier essai nucléaire nord-coréen. Depuis lors, le public sud-coréen s’inquiète et les politiciens de droite surfent sur ces angoisses, des angoisses liées à la menace réelle ou fantasmée d’une Corée du Nord nucléarisée et imprévisible. Ces inquiétudes sont en hausse ; 70% des Sud-Coréens seraient favorables au développement d’un arsenal nucléaire ; ils étaient 60% selon un sondage Gallup en septembre 2017. Si son acquisition paraît pour l’instant irréalisable, le soutien aux armes nucléaires est de plus en plus à la mode.

L’ancien ministre sud-coréen des Affaires étrangères, Song Min-Soon, a expliqué de façon fort diplomatique que « la République de Corée prend ses propres mesures pour créer un équilibre nucléaire sur la péninsule ». C’est une façon détournée de plaider en faveur d’un armement nucléaire indépendant, ce que font désormais de nombreux responsables politiques. Parmi eux, Hong Joon-pvo, le candidat à l’élection présidentielle (de mars) pour le parti conservateur, dénommé Liberty Korea Party. Ces hommes politiques entendent montrer et démontrer qu’il n’appartient pas au voisin et frère ennemi de dicter les règles du jeu nucléaire.

 

Pression sur Washington

Dans le numéro d’octobre du Bulletin of Atomic Scientists qui fait autorité en la matière, Lauren Sukin de Stanford University s’interroge de façon un peu provocatrice : à quel point une Corée du Sud dotée de l’arme nucléaire serait-elle mauvaise ? Faisons les comptes. En tant qu’observatrice avisée, elle estime que l’aventure nucléaire dépend à la fois de ce qui se passe de l’autre côté de la Zone démilitarisée (DMZ), mais aussi de l’attitude des États-Unis à l’égard de Séoul.

L’époque durant laquelle les autorités sud-coréennes pouvaient réclamer le redéploiement d’armes nucléaires tactiques sur son territoire, comme le fit Hong Joon-pvo (op. cité) lors d’un meeting au Council on Foreign relations à Washington en octobre 2017, est révolu. Mais il s’agit toujours de faire pression sur les États-Unis. Grâce à la perspective d’une Corée du Sud dotée d’un arsenal, cette pression s’accentue, en raison de plusieurs facteurs.

Primo, une dénucléarisation du territoire nord-coréen – que l’Occident fait miroiter depuis des lustres – s’évanouit de jour en jour (*). Secundo, l’Administration Biden ne semble guère capable d’œuvrer en faveur d’un gel nucléaire au pays de Kim Jung-un ; tertio, Séoul voudrait que Washington réaffirme son engagement envers l’alliance bilatérale, car il y a perte de confiance dans les garanties de sécurité du protecteur et la « dissuasion étendue » (que les alliés européens de l’OTAN ont acceptée) a perdu de sa crédibilité.

Les Sud-Coréens se posent les questions qu’une partie des Européens n’osent pas se poser.

 

Ben Cramer

 

(*) au regard des États qui ont renoncé (malgré eux) à leurs ambitions comme l’Ukraine, il est fort probable que le régime nord-coréen aurait de la peine à survivre…

 

Illustration:
Départ d’un Trident II (D-5) depuis la mer, Wikipedia.

 

 

 

 

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