MEXIQUE
Alors que la délégation aérienne du « voyage pour la vie » zapatiste a posé le pied en Europe il y a quelques semaines, une poussée de violences secoue l’État du Chiapas. Dans un Mexique miné par la corruption et la mainmise des cartels, des populations indigènes des montagnes de Los Altos ont pris les armes pour lutter contre les groupes criminels implantés dans la région.
Confrontée à des tensions aux portes mêmes de son pré carré, l’organisation zapatiste dont le spectre hante toujours cette partie de l’État se fait pourtant étonnamment discrète.
Le 13 septembre dernier, la délégation zapatiste du « voyage pour la vie » débarquait à Vienne, point de départ de sa tournée européenne. Alors que tous les yeux étaient tournés sur les difficultés de l’expédition à obtenir des visas, un regain de tension embrasait le centre du Chiapas dans la région de Los Altos, un lieu historique de la lutte zapatiste.
Tristement célèbre pour le massacre d’Actéal en 1998, cette région montagneuse située au nord de San Cristóbal de Las Casas est fréquemment le théâtre de violences impliquant des groupes paramilitaires liés au crime organisé. Bien que le Chiapas totalise relativement peu d’homicides par rapport à la moyenne mexicaine, la présence de ces bandes armées dans cette partie de l’État induit un climat pesant pour la population.
Victimes de spoliation de leurs terres, les habitants sont aussi régulièrement la cible d’intimidations (mitraillage de maisons, incendies volontaires) voire d’assassinats sporadiques. Ces actions sont régulièrement dénoncées par le centre des droits de l’homme Fray Bartolomé de Las Casas (Frayba).
Ces derniers mois, les tensions à Los Altos sont remontées d’un cran avec l’apparition du groupe d’autodéfense El Machete. Mis en place par les populations Tzotzil de la région, celui-ci a été créé dans le but de pallier l’inaction des autorités dans la lutte contre le crime organisé. Bien qu’officiellement non affilié au mouvement zapatiste, El Machete en reprend pourtant dans sa rhétorique certains éléments de langage et revendique son héritage. Phénomène endémique au Mexique – notamment dans les régions à forte population indigène –, cette forme de défense collective tend à se développer à travers le pays, spécialement lors des deux dernières décennies.
Au-delà de l’espoir qu’ils soulèvent dans des régions où le crime organisé règne en maître, la constitution de ces groupes de civils armés nourrit également certaines inquiétudes. Même si ces derniers ont à leur actif certains succès comme l’affaiblissement du cartel « Los Caballeros Templarios » en 2014 dans l’État du Michoacán, la prolifération de ces groupes armés fait craindre le risque de dérives quant à leurs objectifs, voir leur récupération par les cartels.
Pourtant, devant la corruption des autorités locales – notamment de la police – et de leur collusion avec des groupes criminels, de nombreux civils se tournent désormais vers ces organisations pour assurer leur sécurité.
À la fin juillet, El Machete – qui compterait au minimum une centaine de combattants – prenait le contrôle de la municipalité de Pantelhó dans la région de Los Atlos dans le but de chasser de la région un groupe nommé Los Herreras. À cette occasion, l’équipe municipale – jugée complice – était également expulsée de la ville.
Depuis le mois de juillet, cette situation tendue aurait entrainé d’après le Frayba le déplacement d’au moins 2 000 habitants de la région. Le bilan humain des évènements récents n’est pour le moment pas connu avec précision.
Le 20 juillet dernier, le président Andrès Manuel Lopez Obrador (dit AMLO) avait déclaré en conférence de presse son opposition à El Machete et appelé au démantèlement des groupes d’autodéfense taxés de groupes criminels.
Le train Maya : aubaine ou progrès en trompe-l’œil ?
Au pouvoir depuis 2018, le président Obrador et le parti de gauche MORENA avaient soulevé de grands espoirs d’apaisement des tensions et de reprise en main étatique dans un pays gangréné par la corruption. Dans le but de relancer l’économie mexicaine, le nouveau pouvoir s’était également engagé dès 2018 dans une politique de grands travaux. Un nouvel aéroport pour Mexico, une immense raffinerie dans l’État du Tabasco et la construction d’une nouvelle ligne de train à travers la jungle du Mexique méridional doivent constituer le fer de lance de cet ambitieux programme.
Sur ce dernier point, la construction du « train Maya » comme il est souvent dénommé ne fait pourtant pas l’unanimité. Censé désenclaver les populations du sud-est du pays, le Congrès National Indigène (CNI) – organisation proche des zapatistes – craint de son côté les conséquences humaines et écologiques d’une ouverture au tourisme de masse de la forêt tropicale – qui est l’un des buts affichés du projet.
Pourtant, dès 2024 à l’issue d’un chantier éclair, les 42 trains produits par le consortium Alstom-Bombardier devraient pourtant sillonner les 1 500 kilomètres de la ligne. De la station balnéaire de Cancún jusqu’au site archéologique de Palenque au Chiapas, ce ne sont pas moins de 19 gares qui devraient sortir de terre.
Si le président Obrador se veut rassurant, les opposants au projet craignent notamment la prolifération d’hôtels et autres équipements touristiques le long du tracé de la ligne sans que celui-ci soit accompagné d’infrastructures de traitement des déchets et des eaux usées.
Mais où sont les zapatistes ?
Que ce soit au sujet du « train Maya » ou encore plus des affrontements de Los Altos, l’armée zapatiste (EZLN) se fait particulièrement discrète. Les affrontements dans les montagnes n’étant évoqués qu’en quelques lignes dans la cinquième partie d’un communiqué daté du 21 septembre. Prise au piège de sa doctrine de « pacifisme armé », cette dernière rechigne pour l’instant à toute intervention directe, intervention qui risquerait d’entrainer un déploiement de l’armée nationale sur son territoire et de ce fait, gravement mettre en péril son existence.
Pourtant, le 8 août 2019, rompant avec un silence qui avait beaucoup fait spéculer quant à sa santé, le mouvement zapatiste était de nouveau revenu sur le devant de la scène. Dans une série de communiqués, le sous-commandant Moisés annonçait la création de 11 nouvelles entités administratives (sept centres régionaux et trois municipalités).
Cherchant à impulser une nouvelle dynamique au mouvement, l’EZLN faisait donc le choix de l’extension territoriale, chose inédite depuis la création des caracoles en 2003. Depuis, le mouvement zapatiste semble s’être lancé dans une stratégie de remobilisation et de réaffirmation de son pouvoir.
C’est dans cette dynamique que peut être compris le « voyage pour la vie » sur le sol européen annoncé à la fin de l’année dernière. En plus d’avoir permis la réactivation de ses réseaux de soutien historiques, ce voyage a également entrainé le tissage de nouveaux liens entre des groupes d’obédiences politiques parfois très diverses.
Depuis les forêts du Mexique méridional, le message des zapatistes est clair : montrer l’image d’un mouvement encore bien vivant capable d’aller de l’avant.
Seul l’avenir dira si cette stratégie réussira à régénérer le mouvement qui fait vivre son expérience autonome depuis déjà un quart de siècle.
Guénolé Carré
A lire: « L’universel, c’est le local moins les murs » : petit récit de l’autonomie chiapanèque
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