Depuis le 2 mai, le président Ivan Duque a envoyé l’armée à Cali, la capitale du département de la Vallée du Cauca, dans le sud du pays. C’est la seule ville avec des soldats, des policiers et l’escadron mobile anti-émeute (ESMAD). Les affrontements, les incendies, les pillages et les violences policières ont mis la ville sens dessus-dessous. Des bus du service de transport public ont brûlé et c’est dans cette ville qu’on compte le plus de victimes.
“Ce message est un véritable appel à l’aide internationale. Depuis une semaine, le 28 avril, le peuple colombien se fait réprimer dans le sang, dans les rues des villes, parce qu’il manifeste contre la corruption.”
Ces mots sont ceux d’une habitante de Cali, Natalia Zapata. Elle a publié une vidéo de dix minutes sur son profil Instagram et en Français pour alerter la communauté internationale. Elle raconte le quotidien des Caleños, habitants de Cali, la présence de l’armée à chaque coin de rue, les violences policières et sa solidarité avec les manifestants mais aussi son impuissance face aux disparitions et aux victimes. L’une des premières victimes est montrée via une vidéo publiée sur les réseaux sociaux. On y voit un jeune manifestant donner un coup à un policier en moto. Ce dernier le poursuit et lui tire dans le dos à deux reprises. Les affrontements et violences éclatent tous les jours sous les regards des hélicoptères qui sillonnent la ville. Les quartiers de Siloe et de Calipso font partie des plus touchés.
Répression et violences quotidiennes
La Mona*, une mère d’une cinquantaine d’années, est en première ligne à chaque marche.
“Je me couvre des pieds à la tête. J’ai une cagoule pour me protéger du gaz lacrymogène et pour ne pas être identifiée car des femmes ont reçu des menaces de la police pour être en première ligne. Ils leur disent qu’elles vont être violées.”
Malgré tout, les manifestations sont quotidiennes. Durant la journées, des milliers d’habitants se réunissent.
“On fait des manifestations pacifiques avec des mères et des enfants et L’ESMAD (escadron mobile anti-émeute) nous envoie des bombes lacrymogènes et nous tire dessus à balles réelles alors qu’on répond uniquement avec des pierres. Beaucoup de jeunes ont été blessés et d’autres tués. Certains ont disparu, d’autres ont été torturés.”
Cette mère de trois enfants explique que le quartier de Siloe regroupe des familles pauvres de Cali.
“On vit de travail journalier comme dans la construction, dans le nettoyage. Il y a beaucoup de chômage. Je manifeste pour mes enfants, pour leur futur. Beaucoup de jeunes ont des talents et veulent sortir de la misère.”
Cali en état de siège
Andres Marco Gonzales* décrit une ville en état de siège.
“C’est extraordinaire de voir des Colombiens se battre pour leurs droits. Mais là, on a tous peur, on est terrifiés. Il y a énormément de vandalisme. Il n’y a pas que des manifestants. Ma mère devait aller à la clinique. L’ambulance n’a pas pu passer à cause des barrages. On est rackettés dans notre propre ville. Un ami a dû payer six de ces péages urbains pour sortir de la ville. Là, ce ne sont plus des manifestants, ce sont des délinquants. C’est la confusion ici.”
Ancien patron d’un restaurant, Andres communique avec ses autres collègues sur Whatsapp pour organiser des tours de garde dans son quartier :
“Il y a beaucoup de désinformation, beaucoup de paranoïa. Toutes les routes d’accès à la ville ont été coupées. Les deux premières semaines, il n’y avait plus d’essence. On faisait 8 ou 9 heures de queue pour avoir quelques litres.”
“Des camionnettes, tire dans la masse”
La nuit de samedi 22 mai a été l’une des plus tendues. Des fusillades ont eu lieu toute la nuit. Deux manifestants et un policier sont morts. Christian Escobar Mora, photo-journaliste international indépendant, était présent. Il suit les manifestations depuis le premier jour.
“La situation est complexe. C’est presque organique. Il y a différents groupes impliqués. Beaucoup de jeunes. Ce n’est pas vraiment le comité de grève qui dirige le mouvement. Je dirais que cette grogne est liée au niveau de pauvreté de Cali. (ndlr plus de 34%) Il y a aussi sa proximité avec le département du Cauca qui est le théâtre d’un éternel conflit de territoire entre des groupuscules armés.”
Christian est habitué à ce type de conflit. Il le couvre depuis 18 ans pour la presse internationale. Il immortalise des scènes de guerre en photo tous les soirs.
“Dans la majorité des cas, les policiers n’utilisent aucun badge ou étiquette d’identification. On ne peut pas les identifier.”
Dans cette confusion, il a aussi été témoin dans le quartier le plus pauvre de la ville, la Luna, d’une dite légende celles des camionnettes blanches qui tirent sur les manifestants.
“ Ce n’est pas un mythe. Nous étions quatre journalistes dont un photographe sur place quand une camionnette blanche avec des vitres tintées est passée devant nous et a tiré à 5 ou 6 reprises. Elle était à 200-300 mètres de nous. J’ai même publié une vidéo montrant les balles sur mon profil Instagram en direct. Quelques heures plus tard, elle est revenue et a tué deux personnes. Des vidéos ont été publiées sur les réseaux. Plusieurs manifestants me parlent aussi de personnes disparues qu’ils ont vu être emmenées de force.”
Depuis le début des manifestations, Cali est la ville où l’on enregistre le plus de victimes de violences. Des citoyens dénoncent aussi des coupures d’électricité et d’internet régulières, notamment durant les deux premières semaines du mouvement. Malgré tout, les manifestations pacifiques se poursuivent. Deux nouvelles journées nationales de mobilisation étaient prévues le 26 et 28 mai. Des “velatones”, des veillées avec des bougies, se multiplient dans le pays pour rendre hommage aux victimes.
Lire aussi: — La rébellion colombienne sur ce site.
(*son nom a été modifié pour le protéger)
Illustration principale:
Bogota – tirs des forces de sécurité, Colombie mai 2021.
Photo: Andres Cardona ©
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