“OPÉRATIONS DE NEUTRALISATION”
Cognac-Châteaubernard. Au coeur du vignoble charentais, dans le sud-ouest de la France, la base aérienne 709, en pleine modernisation depuis sa « montée en puissance », s’étend sur un peu plus de 450 hectares. Près de 1500 effectifs s’y croisent. Après Hennessy, elle est le plus gros employeur de l’agglomération.
En plus de l’École de pilotage de l’armée de l’Air, la base accueille la formation et les entraînements des quatre escadrons spécialisés de la 33e escadre de surveillance, de reconnaissance et d’attaque, le 33e ESRA.
La France, comme les États-Unis, le Royaume-Uni, l’Arabie saoudite, la Turquie ou Israël, utilise depuis 2020 des drones armés pour ses opérations d’assassinats ciblés. Sans aucun débat public autre que celui portant sur les questions de « souveraineté » liées à l’utilisation de drones Reaper américains.
Le 33e ESRA
La base de Cognac-Châteaubernard est une plateforme de formation des pilotes de chasse, qui s’entraînent aujourd’hui sur des Pilatus PC 21 quasiment neufs. En plus de l’École de pilotage de l’armée de l’Air, la base accueille la 33e escadre de surveillance, de reconnaissance et d’attaque (dite « 33e ESRA »), unité regroupant depuis 2020 quatre escadrons spécialisés chargés de la mise en œuvre des drones MALE (pour moyenne altitude et longue endurance) affectés à l’armée française. Depuis 2020, les drones MALE sont utilisés, principalement dans le cadre de l’opération Barkhane, pour la surveillance et la « neutralisation » de groupes djihadistes, au Sahel.
« Neutralisation » : la France et les assassinats ciblés
Outre la reconnaissance et la surveillance, depuis fin 2019 et en plus des avions de chasse Mirage 2000 et Rafale, les premiers drones de l’armée française munis de bombes guidées par laser (bombes air-sol guidées laser GBU-12) sont utilisés au Sahel.
« Les drones armés amélioreront considérablement la sécurité de nos militaires sur place et renforceront nos moyens face à un ennemi toujours plus fugace. Désormais opérationnels, les drones armés sont déployés au sein de l’opération Barkhane. »
— Florence Parly, Communiqué, 16/01/2020
« Officiellement, un drone de l’armée française a frappé pour la première fois le 21 décembre 2019 au Mali » rappelait en 2020 Rémi Carayol sur Mediapart : l’opération aurait permis de tuer 33 personnes « présentées comme des djihadistes ».
« Dans un silence de mort, sans que rien ne puisse alerter les populations au sol, ces engins pilotés depuis la base de Niamey, au Niger, lâchent des bombes de 250 kilos guidées par laser, des GBU-12, capables de tuer tout ce qui se trouve dans un rayon d’une dizaine de mètres autour de la cible. Précision : 9 mètres. Rayon d’action : 12,8 km. »
— Rémi Carayol, Mediapart, 6 septembre 2020
Peu de débat en France sur l’utilisation de ces drones armés ni sur la pratique des assassinats ciblés, qu’elle permet. Ni en terme d’efficacité, ils sont partout présentés comme étant « efficaces et économiques » voire « indispensables » aujourd’hui, leurs utilisations étant systématiquement médiatisées comme « des succès militaires », ni non plus sur le plan éthique. « La transparence autour de leur utilisation est quasiment nulle » ajoute le journaliste de Mediapart :
« On ne connaît jamais les cibles visées, ni le bilan exact de ces frappes, ni même l’identité de leurs victimes. Les drones tuent, mais on ne sait pas qui, ni pourquoi. »
— Rémi Carayol, Mediapart, 6 septembre 2020
En plus de rétablir, de facto et hors de tout cadre judiciaire, la peine de mort par la France, ces pratiques donnent lieu à des « dommages collatéraux » faisant de nombreuses victimes civiles, comme on a pu le voir au Mali, notamment lors du massacre de Bounti. Tout récemment, ce dimanche 29 août, c’est en Afghanistan que la frappe d’un drone américain ciblant Kaboul aurait tué une dizaine de civils, dont des enfants.
Au vu du renforcement des opérations spéciales françaises d’« élimination ciblées » mises en œuvre par la Task Force Sabre dans le cadre de la modification du dispotif hexagonal au Sahel (intensification des « opérations de neutralisation »), la question des « bavures » liées à l’utilisation des drones armés et touchant des civils est pleinement d’actualité.
En plus des questions éthiques (et juridiques) que soulèvent cette modalité d’action, notons qu’elle aura pleiment montré ses limites, comme on le voit depuis plusieurs années et singulièrement depuis quelques semaines en Afghanistan.
BC & BG
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Un enjeu de souveraineté
Les engins armés sans pilotes déployés par l’armée française depuis Niamey, au Niger, sont des drones Reaper (MQ-9 Reaper, de l’américain General Atomics). Ils seront remplacés par des Eurodrone en 2028, comme l’indiquent les engagements signés dans le cadre de l’Organisation Conjointe de Coopération en matière d’Armement (OCCAR)[1] le 15 juillet dernier pour le programme MALE RPAS (Medium Altitude Long Endurance Remotely Piloted Aircraft System ou Eurodrone) réunissant l’Allemagne (Airbus Defence & Space GmbH – qui le coordonne), l’Espagne (Leonardo S.p.a) et la France (Dassault Aviation).
Ainsi, parmi les quatre escadrons spécialisés de Cognac-Châteaubernard figure l’Escadron de Soutien Technique Aéronautique (ESTA). Plus d’une centaine de mécaniciens présents sur la base ou déployés en opérations extérieures et qui assurent aujourd’hui la maintenance des drones Reaper, précedemment assurée par des américains.
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Utilisation sur le sol français des drones MALE
Comme préconisé dans le rapport de la commission des affaires étrangères « Drones d’observation et drones armés : un enjeu de souveraineté », l’utilisation sur le territoire national de drones MALE pour la surveillance d’événements particuliers est aujourd’hui une réalité. Ils ont notamment été utilisés pour sécuriser le dernier défilé du 14 juillet.
Cf. Damien Licata Caruso , « Dans l’antre des pilotes français de drones Reaper, qui sécurisent le défilé du 14 Juillet », Le Parisien, 14 juillet 2021. https://www.leparisien.fr/high-tech/dans-lantre-des-pilotes-francais-de-drones-reaper-14-07-2021-4GRYCRMYRBH7JDXQV4JWZBPJ3M.php (Article réservé aux abonnés)
Plus d’information :
— Drones d’observation et drones armés : un enjeu de souveraineté, Rapport d’information n° 559 (2016-2017) de MM. Cédric PERRIN, Gilbert ROGER, Jean-Marie BOCKEL et Raymond VALL, fait au nom de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, déposé le 23 mai 2017 – Synthèse du rapport (184 Koctets)
https://www.senat.fr/rap/r16-559/r16-559.html
— « Florence Parly, ministre des Armées, salue le succès des tirs d’expérimentation des drones armés », Communiqué, 16/01/2020 [À lire ci-dessous]
— Nathalie Guibert, « La France entre dans l’ère des drones armés », Le Monde, 21 mars 2019.
https://www.lemonde.fr/international/article/2019/03/21/la-france-entre-dans-l-ere-des-drones-armes_5439209_3210.html (Article réservé aux abonnés)
— Rémi Carayol, « L’armée française arme ses drones, mais le débat est confisqué », Mediapart, 6 septembre 2020.
https://www.mediapart.fr/journal/international/060920/l-armee-francaise-arme-ses-drones-mais-le-debat-est-confisque (Article réservé aux abonnés)
— Organisation Conjointe de Coopération en matière d’Armement (OCCAR), « OCCAR and MALE RPAS partners sign Grant Agreement on the development of the Eurodrone », Rome, 15 juillet 2021. http://www.occar.int/occar-and-male-rpas-partners-sign-grant-agreement-development-eurodrone
— Jeangène Vilmer Jean-Baptiste, « Légalité et légitimité des drones armés », Politique étrangère, 2013/3 (Automne), p. 119-132. DOI : 10.3917/pe.133.0119. https://www.cairn.info/revue-politique-etrangere-2013-3-page-119.htm
— Bob Barry, « Les “assassinats ciblés” et le droit international », Deutsche Welle, 20 janvier 2020.
https://www.dw.com/fr/les-assassinats-cibl%C3%A9s-et-le-droit-international/a-52077954
— « The drone papers », The Intercept. Notamment « Part 1. The Assassination Complex », 5 ocobre 2015. https://theintercept.com/drone-papers/ (en anglais uniquement)
Drones armés | Communiqué du ministère des armées :
Florence Parly, ministre des Armées, salue le succès des tirs d’expérimentation des drones armés
Les armées françaises ont réalisé avec succès les tirs d’expérimentation de drones armés depuis la base aérienne de Niamey au Niger, dans le cadre de l’opération Barkhane.
Je tiens à saluer et féliciter tous les personnels du ministère des Armées qui se sont pleinement impliqués dans la mise en place de cette nouvelle capacité, deux ans après la décision que j’avais annoncée d’armer nos drones de surveillance, dans le cadre des orientations fixées par le Président de la République.
Les drones armés amélioreront considérablement la sécurité de nos militaires sur place et renforceront nos moyens face à un ennemi toujours plus fugace. Désormais opérationnels, les drones armés sont déployés au sein de l’opération Barkhane.
Leurs principales missions restent la surveillance et le renseignement, vocation première des drones, mais elles pourront aussi être étendues aux frappes dans le respect des règles d’engagement, si l’opportunité se présente : la pression sur les groupes terroristes armés n’en sera que plus grande.
En plus de la pression permanente exercée sur l’ennemi, les drones armés présentent plusieurs avantages, notamment leur discrétion, leur endurance et la capacité offerte à nos forces de réagir et décider avec plus de rapidité et d’efficacité.
Il s’agit d’une nouvelle capacité, pas d’un changement de doctrine. Les règles d’engagement des drones armés sont exactement les mêmes que celles des avions de chasse avec lesquels ils sont complémentaires.
Ces drones continueront à être opérés depuis le théâtre de l’opération concernée, dans le strict respect du droit des conflits armés.
L’arrivée des drones armés sur le théâtre de Barkhane traduit notre engagement constant à construire des armées modernes et efficaces.
Caractéristiques techniques du Reaper
Source : Ministère de la défense
« Le MQ-9 Reaper est un drone MALE de dernière génération qui utilise les technologies les plus avancées disponibles sur le marché tant pour le vecteur aérien que pour les capteurs embarqués. Grâce à des capteurs optiques et radar de surveillance en temps réel, du rayon d’action et d’endurance que lui confère le vecteur aérien, il est en mesure d’agir dans toute la bande sahélo-saharienne. »
Envergure (m) 20,1
Hauteur (m) 3,8
Longueur (m) 11
Poids max (t) 4,76
Moteur Turboprop. / 900 cv
Vitesse de croisière 180 kt (335 km/h)
Altitude max/travail 45 000 / 25 000 pieds (14 000 / 7 500 m)
Fuel interne 1 850 kg
Endurance + de 24 h
Les Reaper au Sahel
En 2020, les Reapers Block 1 engagés au Sahel ont « assuré 58 % des frappes aériennes contre 29% pour les Mirage 2000 et 13% pour les hélicoptères d’attaque » rappelait Laurent Lagneau sur Opex360.com.
Mais c’est en août dernier qu’a eu lieu au Sahel « la première frappe opérationnelle » (une bombe guidée laser GBU-12 ) du Reaper Block 5, mieux équipé que le Block 1, et dont la France vient d’acquérir de nouveaux appareils.
Objectif : tester le nouveau système Block 5 dans un contexte opérationnel.
Deux campagnes d’expérimentation (entre mars et mai puis en juillet 2021), rendues nécessaires devant la difficulté rencontrée avec le nouveau système: « la difficulté que nous avons eue avec le Reaper Block 5 vient du fait qu’il s’agit d’équipements américains. »
« L’affaire montre notre degré de dépendance dans ce genre de processus, face à une configuration de logiciel entièrement nouvelle et à un niveau de qualité dont nous ne savons pas s’il est suffisant, alors que nous sommes responsables du niveau de sécurité associée à la mise en œuvre des matériels », avait selon Laurent Lagneau affirmé le DGA.
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Notes :
1 – La ministre des armées se félicitait également ce 31 août de la signature d’un accord encadrant jusqu’en 2027 le programme NGWS/FCAS (Next Generation Weapon System within a Future Combat Air System) confirmant « l’engagement de l’Allemagne, de l’Espagne et de la France en faveur du développement d’une aviation de combat de nouvelle génération capable de faire face aux menaces et défis futurs ». Voir également sur le site du ministères des armées le communiqué du 1 septembre: « Nouvelle étape majeure dans l’expression commune du besoin opérationnel ».
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