Total et les Français en Birmanie, le prix du sang

par | 12 Mai 2021 | Brèves

Profiteurs de guerre
Le géant pétrolier français, soutien obstiné et essentiel des putschistes sanguinaires, et ses excuses bidon.

« Ne pas exposer les responsables de notre filiale au risque d’être arrêtés et emprisonnés.»

C’est ainsi que Patrick Pouyanné, le patron de Total justifie dans une tribune la décision du groupe pétrolier de maintenir ses activités en Birmanie, malgré les appels répétés de représentants élus et de divers groupes de la société civile à cesser de financer la junte militaire.

Les taxes et impôts versés par le géant français rapportent officiellement 190 millions d’euros par an à l’État birman, partagés entre des versements au Myanmar Oil and Gas Enterprise (MOGE), une entreprise publique tenue par les militaires et les services fiscaux, aujourd’hui contrôlés par ces mêmes militaires. Si on prend en compte les activités dérivées, ce chiffre se rapprocherait davantage du milliard d’euros annuels. « C’est une ligne de financement vitale pour les généraux, estiment les activistes du groupe d’enquête Justice for Myanmar. Peu d’entreprises ont comme Total le pouvoir de les mettre en difficulté. Ils pourraient véritablement avoir un impact s’ils le voulaient. »

Le patron français met en avant l’arrêt des travaux de forage dans le bassin arakanais (bloc A6), au nord-ouest du pays, car « face à une telle situation, inutile de penser que nous voulons investir davantage pour le futur ». Vaste hypocrisie, selon un ingénieur birman qui travaille dans le groupe depuis quinze ans, qui s’exprime dans le journal en ligne Myanmar Now. Total ne possède que 40 % des parts du projet. C’est son partenaire australien Woodside qui en assume les aspects opérationnels et a annoncé dès la fin février l’arrêt du forage, forçant la main des Français. « C’est Woodside qui a arrêté les opérations, pas Total » affirme l’ingénieur, soulignant que les versements français à la junte ont bien lieu chaque mois. Quant à la proposition de reverser l’équivalent des taxes « effectivement payées » à des organisations civiles birmanes, c’est un vœu pieux : seules les ONG adoubées par les militaires sont aujourd’hui autorisées à opérer dans le pays.

Manifestement peu inquiété par le sens du ridicule, l’homme d’affaire va jusqu’à affirmer que « le respect des droits humains (…) est profondément ancré au sein de l’ADN de Total ». Arrivé en Birmanie en 1992, après le coup d’État de 1988, Total s’est maintenu dans le pays pendant toute la période de la dictature militaire ; en 2011, c’est même Nicolas Sarkozy, alors président de la République, qui demande au groupe de suspendre ses investissements en Birmanie.

Total n’est pas la seule entreprise française à continuer à faire de bonnes affaires avec la junte. Pour ne citer que les géants, le constructeur Bouygues y mène d’énormes projets de construction, notamment dans les banlieues de Rangoun. Le groupe Accor y exploite une dizaine d’hôtels et selon un rapport publié en 2019 par le conseil des droits de l’homme de l’ONU, l’hôtelier français aurait même participé via des donations substantielles à la construction d’infrastructures visant à empêcher le retour de la minorité ethnique rohingya, dont une partie s’est réfugiée au Bangladesh après les massacres de 2017, sur le territoire birman.

Il est important de noter que certains groupes français ont bien arrêté leur collaboration avec les militaires depuis la répression : c’est le cas d’EDF, qui abandonne un projet de barrage électrique à plus d’un milliard d’euros, ou, plus modestes, les vendeurs de volailles Grimaud-Novogen.

A lire sur ce site: Birmanie, la « révolution du printemps »

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